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Helga Zepp-LaRouche: Discours d’ouverture

Helga Zepp-LaRouche

Présidente de l’Institut Schiller.


Je vous souhaite la bienvenue. J’aimerais d’abord, avant de commencer mon discours, vous transmettre brièvement ce que M. LaRouche avait à dire hier sur des événements extrêmement importants. Le président Obama s’est présenté devant le Congrès et a menacé les élus démocrates pour les obliger à voter en faveur de la procédure d’adoption par voie rapide de l’Accord de partenariat transpacifique (TPP). Il a fait valoir que le sujet n’était pas réellement l’accord en tant que tel, mais sa propre autorité.

Cependant, il a été rapporté qu’une fois la session terminée, les membres du Congrès sont sortis furieux et ont voté à une large majorité contre ce projet de loi, ce qui est une défaite majeure (une de plus) pour Obama. M. LaRouche a observé qu’il s’agit là non pas d’une opposition de dernière minute, mais d’un processus de rébellion en cours sur les deux rives de l’Atlantique. Ceci reflète bien plus une prise de conscience, de la part de certaines factions importantes, du danger d’une guerre nucléaire imminente.

Il faut s’attendre, a ajouté M. LaRouche, à ce que le gouvernement Obama soit de plus en plus enclin à chercher l’affrontement, mais il ne faut pas perdre de vue la véritable raison, qui est que Wall Street a la tête sur le billot : tout le système financier transatlantique est irrémédiablement en faillite, et le seul espoir d’en sortir repose sur l’existence d’un bloc de nations beaucoup plus fort en nombre. Ce que l’on doit éviter à tout prix, cependant, est de laisser s’installer le chaos. Il faut donc un programme qui soit en mesure de répondre dès maintenant à la situation, car nous sommes confrontés à une explosion imminente liée à la dette grecque, avec des conséquences pour l’Espagne, l’Italie, et bien que l’Allemagne soit en meilleure posture, l’enjeu est l’effondrement de l’ensemble du système financier transatlantique.

Nous devons donc prendre des mesures semblables à celles adoptées par le président Franklin Roosevelt entre 1932 et 1939. C’est sur cela que nous devons nous concentrer, et je pense que ce sont des sujets qui doivent être débattus au cours de cette conférence.

Car cette conférence n’est pas de nature académique. Il s’agit d’un effort pour intervenir à un moment précis, un moment où il devient évident que les principales institutions comme le G7, par exemple, dont le sommet vient de se terminer, n’ont absolument rien à proposer pour protéger la civilisation contre ces menaces existentielles.

Je reviendrai plus tard sur ces solutions optimistes, mais j’aimerais d’abord vous le dire : l’humanité n’a jamais été confrontée à un danger aussi grand.

Je voudrais cependant préciser dès le départ que pour moi, il est tout à fait possible de sauver la civilisation et de réaliser ces projets et alternatives vraiment magnifiques qui seront évoqués tout au long de cette conférence. Si nous faisons bien notre travail (il est évident que cela ne dépendra pas que de nous, mais que notre intervention subjective peut s’avérer la différence marginale permettant d’éviter l’anéantissement de l’humanité et de la faire entrer dans une nouvelle ère), nous pourrons, très bientôt, connaître un monde bien différent du monde actuel.

Il est important de commencer par la vision qui doit nous guider : nous pourrions construire une relation complètement différente entre nos pays, qui ne serait pas déterminée par l’affrontement géopolitique et ne se focaliserait pas sur des centres d’intérêt étroits, nationaux, opposés à ceux d’un autre pays, mais où les pays seraient unis dans une vision commune, par des objectifs communs à toute l’humanité. Nous pourrions ainsi avoir un nouvel ordre économique mondial, qui rendrait justice à chaque pays de notre planète, combiné à une Renaissance de la culture classique, ce qui est aussi, de mon point de vue, une urgence, vu la dégénérescence de la culture occidentale à l’heure actuelle.

Mais tout ceci ne pourra avoir lieu que si nous accomplissons les tâches que nous nous sommes données il y a quelque temps déjà, en l’occurrence d’amener les pays européens, ainsi que les Etats-Unis, à se joindre à une perspective de coopération avec les BRICS, à la politique gagnant-gagnant du président chinois Xi Jinping.

Voici le programme que nous souhaitons, un plan de développement pour les cinquante prochaines années, bien qu’à la vitesse à laquelle progresse la Chine, vingt suffiront peut-être. Cela pourrait aussi prendre cent ans, mais ce programme est essentiel. L’idée de construire un Pont terrestre mondial, d’unir tous les pays de notre planète dans une stratégie de développement commune, est réellement la solution à tous nos problèmes : au danger de guerre, car il représenterait une stratégie pour la paix pour le XXIe siècle ; au sous-développement et à la faim dont souffrent des milliards d’individus, car il amènerait le développement et la production pour tous ; au trafic de stupéfiants, car il donnerait l’espoir d’un avenir meilleur et permettrait par conséquent de surmonter la décadence de l’esprit.

Ce changement doit cependant survenir très rapidement. Car l’urgence est extrême.

En regardant les résultats du sommet du G7, on constate malheureusement que la chancelière Merkel, poussée par Obama, Cameron et le canadien Harper, a décidé d’exclure le Président Poutine pour la deuxième fois et que cette décision a créé les conditions permettant à Obama de lancer des attaques très provocatrices à la fin du sommet.

Etant donné que le G7 ne représente que 10 % de la population mondiale, il est incroyable qu’il puisse décider d’imposer une « décarbonisation » de l’économie mondiale d’ici 2100. Qu’est-ce qui autorise 10 % de la population mondiale à décider pour le monde entier d’un programme couvrant les 90 prochaines années ?

Si l’histoire parvient à se souvenir de Madame Merkel, ça ne sera probablement que pour avoir décrété la tristement célèbre sortie de l’Allemagne de l’énergie nucléaire et de l’avoir forcée à dépendre uniquement des énergies renouvelables. La décarbonisation implique de ne garder que le solaire et l’éolien (aucune énergie fossile) et puisqu’elle est également contre l’énergie nucléaire, ceci signifierait de mettre en pratique le programme de M. Schellnhuber, chef du Conseil scientifique pour les changements globaux (WBGU), organisme consultatif du gouvernement allemand en matière de climat et d’énergie et CBE (Commandeur de l’Empire britannique). M. Schellnhuber a proposé un programme de transformation de l’économie mondiale reposant sur une décarbonisation complète. Et puisqu’il y a une corrélation directe entre la densité du flux d’énergie dans le processus de production et le nombre d’êtres humains dont on peut assumer les besoins, cela signifierait donc qu’on ne pourrait faire vivre sur Terre qu’un milliard d’individus au maximum.

Il y a eu ensuite cette rencontre de mauvais augure entre le président Obama et Sir David Attenborough, le principal conseiller de la couronne britannique pour les questions environnementales et la politique énergétique. Il s’est envolé juste avant le sommet pour rencontrer Obama et rien n’a filtré de leur discussion. Nous savons toutefois ce qu’a dit Attenborough dans le passé : que l’espèce humaine est un fléau et que la population mondiale devrait être réduite au moins de moitié. On peut donc présumer qu’il a prodigué à Obama les conseils de l’Empire britannique sur la manière de réduire la population mondiale.

Trois personnalités importantes ont heureusement pu intervenir brièvement avant le Sommet du G7 pour demander que le président Poutine y soit invité. Il s’agit de l’actuel ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, et des anciens chanceliers Gerhard Schroeder et Helmut Schmidt. Ce dernier a déclaré notamment que la Russie devrait non seulement être invitée au sommet, mais aussi l’Inde et la Chine. Schmidt, qui a maintenant 95 ans (il semble que ce soit la qualité des personnes plus âgées d’avoir le courage de dire la vérité), a déjà averti à plusieurs reprises du danger d’une troisième guerre mondiale.

Vous pouvez être sûrs que ces gens (Steinmeier est en ce sens sur une ligne complètement différente de celle de Merkel) sont au courant des récents avertissements des experts militaires concernant le fait que nous sommes aujourd’hui dans une situation plus dangereuse qu’à l’apogée de la Guerre froide, lors de la Crise des missiles de Cuba. Au cours de cette crise, en effet, les communications entre les présidents Kennedy et Khrouchtchev étaient restées ouvertes en dépit de leur relation très conflictuelle, et ils ont pu désamorcer la crise au tout dernier moment.

Ce n’est pas le cas entre les présidents Obama et Poutine. De nombreux experts militaires ont fait remarquer que l’un des plus grands dangers est l’absence de communication entre les Etats-Unis et la Russie, en particulier.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Ceci est la conséquence d’une escalade sur le long terme, qui a commencé essentiellement avec la décision des néoconservateurs en 1997 de mettre en œuvre la politique du PNAC (Projet pour un nouveau siècle américain), reposant sur l’idée que depuis que l’effondrement de l’Union soviétique, entre 1989 et 1991, aucun pays non soumis à un empire dirigé par les Anglo-américains, un empire basé sur la relation spéciale entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, ne doit exister.

Il a été souligné explicitement que l’objectif est de permettre aux Etats-Unis de maintenir une prédominance mondiale, à l’exclusion de tout autre pays ou groupe de pays, dont la montée en puissance pourrait menacer le pouvoir des Etats-Unis. Telle est la conception qui domine aux Etats-Unis. Brièvement suspendue à mi-mandat de l’administration Clinton, elle a été pleinement remise en œuvre par les administrations de Bush, père et fils, puis au cours des six ans d’Obama.

Cette politique s’est traduite par le fait qu’après la chute de l’Union soviétique, les néoconservateurs ont adopté une politique de changement de régime, grâce à diverses méthodes comme les révolutions de couleur, en payant les ONG pour renverser les gouvernements élus démocratiquement, ou encore les sanctions, comme nous le voyons aujourd’hui avec la Russie. L’objectif des sanctions est de fomenter le mécontentement à l’intérieur de la Russie, pour provoquer un phénomène semblable au Maïdan et se débarrasser de Poutine.

Ces politiques incluaient l’élargissement de l’OTAN et de l’UE jusqu’aux frontières de la Russie, une politique qui, selon John Matlock, l’ancien ambassadeur américain à Moscou, viole la promesse qui avait été faite à l’époque de ne jamais le faire. Ces promesses n’ont jamais été respectées. On a maintenant des troupes et de l’équipement militaire positionnés tout près des frontières avec la Russie.

On a récemment accusé la Russie d’avoir violé le traité INF. Il s’agit d’une accusation extrêmement fragile, liée à un prétendu essai de lancement, depuis la terre, d’un missile de croisière normalement basé en mer – essai qui, s’il a réellement eu lieu, ne serait qu’un détail technique minime, mais comme je l’ai dit, cela n’a même pas été prouvé. Les Russes ont de leur côté clairement réfuté les faits incriminés, et le ministre-adjoint à la Défense Antonov a déclaré, en gros, que les Etats-Unis montent en épingle ces allégations contre la Russie pour justifier leurs propres plans militaires, visant à ramener des missiles de courte et moyenne portée en Europe et ailleurs.

Lorsqu’Obama a pris le pouvoir, il avait promis de réduire l’arsenal nucléaire, voire de s’en débarrasser. Redéployer des missiles nucléaires en Grande-Bretagne, chose que Cameron a déjà acceptée, ou dans d’autres pays, est une décision qui vise clairement à déclencher une guerre nucléaire. Certains pensent d’ailleurs que cette guerre nucléaire devrait se limiter à l’Europe, mais selon la logique de la guerre, il est évident qu’elle déborderait bien au-delà. Nous aurions affaire à une guerre nucléaire généralisée, d’amplitude mondiale, et personne n’y survivrait.

Le général Ivashov, qui dirige à l’heure actuelle l’Académie de géopolitique, a déclaré qu’il s’agissait ici d’une « Crise des missiles de Cuba à l’envers ». Elle est la mise en œuvre de la doctrine Cheney-Wolfowitz d’un monde unipolaire.

L’administration Obama a reconnu qu’elle envisage de quitter le Traité INF pour déployer une prétendue contre-force IRBM (missiles balistiques de portée intermédiaire) en Europe, ou même une capacité de frappe compensatoire impliquant la possibilité d’une première frappe nucléaire contre des cibles situées en Russie.

De plus, les modifications de la doctrine militaire américaine au cours de la période récente (PGS ou frappe planétaire rapide, bouclier antimissile) en font de facto une doctrine de première frappe. Si vous vous rappelez ce qu’avait déclaré le président Poutine en annonçant la mise à jour de la doctrine militaire russe fin 2014, qu’on arriverait au point où la Russie se sentirait obligée d’utiliser des armes nucléaires pour se prémunir contre cette menace, ceci devrait suffire à démontrer pourquoi nous sommes en danger de mort, et pourquoi il nous faut absolument agir.

Le site internet de l’OTAN présente une liste de 71 manœuvres et événements prévus entre avril et novembre, tous à proximité de la frontière russe, dans les pays baltes et en mer Baltique, ainsi qu’en mer Noire, et [le président ukrainien] Porochenko vient tout juste d’annoncer la fin de toute coopération militaire avec la Russie, ce qui bloque l’approvisionnement des troupes russes en Transnistrie. Ceci pourrait être à première vue une répétition des événements en Géorgie en 2008, mais aussi un prétexte à des opérations militaires contre la Russie.

La Russie intensifie ses liens stratégiques avec la Chine et l’Inde, et la Russie et la Chine exercent leurs troupes aériennes amphibies en Extrême-Orient, dans une manœuvre baptisée Joint Sea 2015.

Le prétexte à toute cette escalade contre la Russie étant la situation en Ukraine, plus particulièrement la Crimée, il faut souligner clairement que ce qui l’a déclenchée a été le coup fasciste du 18-22 février 2014, et avant cela, l’effort pour intégrer l’Ukraine dans l’UE, à travers le fameux Accord d’association. Cette crise a même commencé bien avant, comme l’a déclaré très judicieusement Helmut Schmidt, avec le Traité de Maastricht, car c’est là qu’a débuté l’idée d’un élargissement de l’UE vers l’est.

Ainsi, ce qui est arrivé avant le Sommet du G7 ne peut être qualifié que de délire suicidaire de la part de l’Allemagne, de la France et de l’Italie, entre autres. La seule chance qui nous reste serait de voir s’amplifier l’opposition de Steinmeier, Schmidt et Schroeder. Merkel devrait, selon moi, être remplacée, car elle ne respecte pas le serment qu’elle a prêté lorsqu’elle a pris ses fonctions [de protéger le peuple allemand contre tous les dangers] et elle a eu un comportement scandaleux dans l’affaire de la NSA et du BND, qui viole les droits de tous les Allemands, mais pas seulement, car cette coopération entre services de renseignement américain et allemand s’est exercée au détriment de la France, la Belgique, l’Autriche et même de l’industrie allemande. Or Merkel ne sait certainement pas que, sans coopération avec la Russie et les BRICS, l’industrie allemande ne peut pas survivre.

La Russie fait partie de l’Europe, et les sanctions conçues pour lui nuire sont de toute évidence extrêmement stupides. Car cela porter préjudice non seulement à la Russie, qui en souffre de toute évidence, mais aussi à l’économie allemande : par exemple, au cours du premier trimestre de cette année, les exportations de machines-outils allemandes vers la Russie se sont effondrées de 28 % et les industriels allemands sont furieux de voir que les exportations américaines vers la Russie ont, pour leur part, progressé de 17 % au cours de la même période.

Fondamentalement, en Europe, on assiste non seulement à une stagnation de l’économie, mais il n’y a plus rien qui protège l’ensemble de l’Europe contre la désintégration, surtout face à l’explosion imminente de la situation grecque, qui arrive vraiment à son terme.

Merkel devrait donc être expulsée de son poste, ou mise sous tutelle, par des forces associées à l’industrie, à la Défense et à une faction plus large du SPD, proche des trois personnalités mentionnées. Soyons bien conscients que les Etats-Unis sont depuis longtemps voués à cette idée géopolitique d’empêcher toute coopération entre l’Allemagne et la Russie. Ce qu’il faudrait, et cela concerne non seulement l’Allemagne mais toute l’Europe, c’est lever immédiatement les sanctions. C’est très facile à faire. Il nous suffit de dire que nous souhaitons à nouveau commercer avec la Russie, et ce serait là la première étape d’un retour à la normalité.

Mais cette décision de décarbonisation et la guerre économique menée contre la Russie ne sont pas les seuls maux sur lesquels on s’est mis d’accord au sommet du G7. Ils ont également adopté une ligne dure contre la Grèce, une politique d’austérité entièrement favorable aux intérêts des banques trop grosses pour faire faillite, et il faut noter que 97 % des soi-disant plans de sauvetage ont servi, en réalité, à sauver les banques. Ce qui est imposé à la Grèce est comme une peine d’emprisonnement pour dette, un carcan de la dette s’inscrivant dans la logique de Versailles et de Brüning. Jean Ziegler, un militant suisse bien connu et un représentant des Nations unies, a déclaré que les esclavagistes modernes occupent les étages supérieures des grandes banques et des multinationales. Il a qualifié le système actuel de « cannibale », ce qui est absolument vrai.

« Ce Monsieur Ziegler est trop radical ! » protestera l’européiste moyen. Mais si vous y réfléchissez sérieusement, n’est-ce pas la vérité ? Quelle est la différence entre les navires des marchands d’esclaves et des planteurs du sud des Etats-Unis, où des milliers de gens furent noyés ou sont morts de faim et de soif, et l’actuelle crise des réfugiés en Méditerranée, où ils sont des milliers à mourir presque chaque semaine, risquant leur vie et celle de leurs enfants, avec une probabilité de survie de 50 %, pour échapper aux guerres au Moyen-Orient, à la faim et aux épidémies en Afrique, et au terrorisme ?

La politique de l’UE à l’égard des réfugiés illustre pour moi la faillite morale totale de cette institution. Car elle ne sert que les intérêts du FMI et des banques trop grosses pour sombrer, sous la direction d’intérêts qui ont fait de tout le secteur en voie de développement une vaste plantation. Pensez à l’accaparement des terres, à la spéculation sur les pénuries d’eau, aux obstacles que l’on oppose aux projets de transfert d’eau afin de maintenir la cherté de l’eau, spéculer sur l’eau en bouteille et contrôler la chaîne alimentaire. Jean Ziegler a déclaré que chaque enfant qui meurt de faim est assassiné. Et je suis d’accord avec lui. Car il serait si facile de résoudre ces problèmes, il ne faudrait que six mois pour y arriver.

Il y a quelques jours, dans l’avion, je regardais le film 12 Years a Slave, qui est un film remarquable car il illustre parfaitement la mentalité de ces esclavagistes à l’œuvre aujourd’hui, qui s’y retrouvent bien dans cette tendance pro-britannique aux Etats-Unis.

Derrière cette vision unipolaire du monde se cache la mentalité des propriétaires de plantation et des esclavagistes des temps modernes. Je concède volontiers que les PDG de ces mégabanques et les bureaucrates de l’UE n’ont probablement pas cette perversité que l’on voit dans le film, où l’on peut réellement affirmer que le sadisme et la mentalité absolument ignoble sont aux limites de ce que peut faire un être humain. Mais ils n’en sont pas moins les cerveaux, car derrière leurs bureaux, c’est eux qui décident de ces crimes. Ils spéculent sur les certificats sur le CO2 en se fichant entièrement des conséquences de leurs décisions. Tant qu’ils en tirent profit, ils sont complètement indifférents au sort des autres.

Ceci nous ramène aux gens comme Attenborough, pour qui les êtres humains sont le fléau de la Terre, et qu’il faudrait donc combattre l’explosion de la population humaine. Il est associé à l’Optimum Population Trust (rebaptisé depuis Population Matters), qui a dit que le nombre actuel d’individus sur Terre doit être réduit de moitié d’ici la fin du siècle, ce qui correspondrait à 3,5 milliards. On le voit ici en discussion avec deux individus, et il est probablement en train de se demander lequel des deux devrait être éliminé. Il faut en effet prendre ces choses à un niveau très personnel.

Dans son magnifique essai La Législation de Solon et de Lycurgue, Friedrich Schiller décrit Sparte comme un modèle oligarchique, volontiers enclin à éliminer ceux qu’on appelait les Hilotes, qu’il est permis de tuer s’ils sont trop nombreux. Dans son livre L’Impact de la science sur la société, Bertrand Russell, écrivait :

Les mauvaises périodes sont, peut-on dire, exceptionnelles, et exigent que l’on ait recours à des méthodes exceptionnelles. Cela s’est plus ou moins vérifié au cours de la période de lune de miel de l’industrialisme, mais il n’en restera pas ainsi, à moins que l’accroissement de population ne soit énormément réduit. La population du monde s’accroît à présent au rythme de 58 000 habitants par jour. La guerre, jusqu’à présent, n’a pas eu grand effet sur cet accroissement, qui s’est maintenu pendant chacune des guerres mondiales. (…) La guerre, comme je l’ai remarqué il y a un moment, a été décevante à cet égard, mais la guerre bactériologique sera peut-être plus efficace. Si une peste noire pouvait se répandre à travers le monde à chaque génération, les survivants pourraient se reproduire plus librement sans trop remplir le monde. (…) Cette situation peut paraître quelque peu déplaisante, et après ? Les gens d’une éducation supérieure sont indifférents au bonheur, surtout en ce qui concerne celui des autres.

Dans son Prospects of Industrial Civilization, Russell ajoutait :

La population blanche du monde cessera bientôt de croître. Les Asiatiques mettront plus de temps, et les nègres encore plus, avant que leur taux de fécondité ne s’abaisse suffisamment pour stabiliser leur nombre sans l’aide de la guerre et des fléaux. (…) Avant d’en arriver là, les bénéfices recherchés par le socialisme ne pourront être que partiellement réalisés, et les races moins prolifiques devront se défendre contre les plus prolifiques par des méthodes qui, bien que nécessaires, sont dégoûtantes.

Avec ce genre de mentalité, une « splendide petite guerre », comme les Britanniques ont l’habitude de les appeler, semble être la meilleure chose à faire, même s’il s’agit d’une splendide petite guerre nucléaire. Cela peut sembler dégoûtant, mais cela peut s’avérer nécessaire.

Il y a heureusement une alternative.

Depuis que le président Xi Jinping a annoncé, il y a environ deux ans, son projet de Nouvelle route de la soie et de Route de la soie maritime, et surtout depuis le sommet des BRICS de Fortaleza en juillet 2014, un système économique entièrement nouveau a vu le jour.

Les BRICS ont conclu entre eux un nombre impressionnant d’accords et défini des aires de coopération, impliquant l’infrastructure, la science et la technologie, ainsi que l’énergie nucléaire et l’industrie spatiale, représentant des milliers de milliards de dollars.

Du point de vue des habitudes européennes des dernières années, ces pays se sont mis en mouvement à une vitesse incroyable, et d’autres organisations se sont formées autour d’eux. Toute l’Amérique latine, la plupart des pays du Sud-est asiatique, des parties de l’Afrique et même d’Europe. Avec l’aide chinoise, ils ont entrepris de construire un second canal de Panama au Nicaragua. Les Chinois prévoient de construire un chemin de fer transcontinental entre le Brésil et le Pérou. Un accord a été conclu lors de la récente visite du Premier ministre Li Keqiang en Amérique latine. Et quatre tunnels doivent être creusés entre le Chili et l’Argentine, tout cela avec des investissements chinois.

Au-delà, ils ont créé un système financier entièrement parallèle : la Nouvelle banque de développement, avec un capital de 100 milliards de dollars ; un Pool de réserves en devises, qui doit permettre aux pays de se défendre contre la spéculation ; la Banque asiatique d’investissement dans l’infrastructure (BAII), à laquelle se sont joints avec empressement, contrairement aux souhaits d’Obama, 58 pays, dont la France, l’Allemagne, l’Italie et la Scandinavie, pour en être membres fondateurs. L’Organisation de coopération de Shanghai s’est dotée d’une nouvelle banque, de même pour la SAARC, l’organisation rassemblant les pays du sud de l’Asie, sans oublier le Fonds de développement de la Nouvelle route de la soie et le Fonds de la Route de la soie maritime.

Tous ont pour objectif explicite de remplir le vide laissé par le FMI et la Banque mondiale, qui ne consacrent que 60 milliards de dollars par an pour l’infrastructure. Ainsi, ces nouvelles institutions ont consenti à engager d’immenses sommes dans des programmes d’infrastructure dans tout le secteur des pays en voie de développement.

La principale impulsion à cette dynamique est clairement venue du président Xi Jinping, mais il y a également un partenariat stratégique très fort entre la Chine et la Russie. La Nouvelle route de la soie et la politique « Une Ceinture, une Route » ont, au cours de la période récente, permis une intégration complète de l’Union économique eurasiatique promue par la Russie. Une coopération stratégique extrêmement étroite s’est établie entre la Russie et l’Inde. Lors d’une récente visite du président Poutine en Inde, le Premier ministre Modi a déclaré que dans le passé, l’Inde et la Russie avaient été unies par le partenariat stratégique le plus étroit, et qu’il en resterait ainsi à l’avenir.

Ainsi, entre l’Inde et la Chine, le partenariat stratégique a été renforcé et les conflits territoriaux et autres ont été mis au rancart. Lors de son séjour au Brésil, il y a deux semaines environ, Li Keqiang a réussi à contrer efficacement une attaque stratégique de Wall Street contre le Brésil et à neutraliser les efforts visant à déstabiliser Dilma Rousseff.

C’est ainsi qu’un tout autre modèle de relations est en train d’émerger entre les pays, fondé sur des principes totalement différents. Pas autant que cela cependant, car c’était ceux adoptés par les Nations unies avant que le modèle impérial ne prenne le dessus. Il s’agit de la non-ingérence, du respect des divers modèles sociaux, d’intérêts économiques mutuels, d’une politique gagnant-gagnant.

Ce nouveau modèle pour l’économie a bien évidemment un immense attrait, et il a provoqué une éruption d’optimisme. Des projets, abandonnés pendant plusieurs décennies, ont été repris dans plusieurs pays et sont aujourd’hui en voie de réalisation.

Le miracle économique chinois est devenu contagieux. La Chine, depuis les réformes de Deng Xiaoping, et en particulier depuis trente ans, s’est développée à une vitesse vertigineuse, réalisant ce que les pays industrialisés avaient accompli en 150 à 200 ans. Contrairement à ce qu’affirment les médias occidentaux, elle a obtenu les meilleurs résultats en termes de droits de l’Homme, car elle a sorti de la pauvreté extrême 800 millions de personnes, pour leur donner un niveau de vie très décent. Or qu’est-ce qui viole plus les droits de l’Homme, sinon la pauvreté ?

Aujourd’hui, avec la Nouvelle route de la soie, la Chine entend également développer les régions intérieures qui ne le sont pas encore, et élever le niveau de vie de la population rurale. Le gouvernement chinois a annoncé qu’il souhaite doubler le PIB en 2010 et 2020. C’est un objectif remarquable, et il est réaliste si on regarde ce qui est arrivé au cours des trente dernières années.

Pour nous à l’Institut Schiller, la Nouvelle route de la soie est l’accomplissement d’un dessein qui a vu le jour il y a vingt-cinq ans. Au moment de la chute du Mur, nous avions proposé d’unifier les régions situées entre Paris, Berlin et Vienne, dans ce que nous avions appelé le Triangle productif, car le Mur avait disparu. Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée en 1991, nous avons étendu ce triangle pour en faire le Pont terrestre eurasiatique. L’idée était d’unifier les centres industriels et de population de l’Europe à ceux de l’Asie, à travers des couloirs de développement infrastructurels, mais il ne s’agissait pas que d’un programme économique. Le but était délibérément de mettre en place un ordre pacifique pour le XXIe siècle.

Le Pont terrestre eurasiatique devait reposer sur un niveau de raison plus élevé, où les conflits historiques, les tensions ethniques et autres, les blessures du passé seraient surmontées grâce aux bienfaits mutuels dont pourrait profiter quiconque souhaitant participer au programme. Il s’agissait en réalité, même si nous ne l’avions pas appelé ainsi, d’une politique « gagnant-gagnant ».

Ce programme n’a pu se réaliser pour les raisons que je viens d’évoquer – le Projet pour un nouveau siècle américain, les efforts de Bush père, de Margaret Thatcher et de Mitterrand pour forcer l’Allemagne à abandonner son deutschemark au moment de sa réunification, ainsi que le Traité de Maastricht. Car il y avait un secret, le secret de l’OTAN le mieux gardé jusqu’en 1989, qui était que l’Allemagne était encore un pays occupé. Le Traité de Maastricht devait faire en sorte que l’Allemagne reste un pays occupé, en l’obligeant à endosser la camisole de force du Pacte de stabilité, et il était évident pour nous que l’euro ne marcherait pas, car il n’était pas conçu comme un programme économique. Il s’agissait d’une attaque géopolitique sur l’Allemagne.

Nous avons organisé à l’époque des centaines de conférences et de séminaires sur cinq continents, et en 1996, lors d’une conférence à Beijing sur le Pont terrestre eurasiatique, ce programme avait été de fait mis à l’ordre du jour par le gouvernement chinois, qui souhaitait en faire sa perspective stratégique pour l’année 2010. Cela fut bien entendu bloqué par la crise asiatique de 1997 et la faillite de l’Etat russe en 1998.

Nous avons donc été remplis de joie, mais pas fondamentalement surpris, lorsque Xi Jinping a annoncé son projet de Nouvelle route de la soie. Pendant presque deux ans, les grands médias occidentaux ont complètement passé sous silence le fait qu’un système économique parallèle se mettait en place, ou ils l’ont calomnié en s’attaquant personnellement à Vladimir Poutine et à Xi Jinping. Mais au cours des quatre dernières semaines, une vague d’articles a été publiée, comme celui de la revue Time, intitulé « La Nouvelle route de la soie pourrait changer à jamais l’économie mondiale ».

« Les plus grands projets d’infrastructure de l’histoire. Un grand jeu pour le contrôle de l’Eurasie, qui pourrait conduire à une nouvelle Guerre froide. L’issue est incertaine. »

Ceci est dans Deutschlandfunk.

La plupart de ces articles disent tout à coup qu’il y a un système complètement nouveau, mais qu’il s’agit toujours de géopolitique. Ils se trompent complètement sur ce point, car il s’agit explicitement d’une manière de surmonter la géopolitique, en invitant tout le monde, dans le monde entier, à y participer.

Ils disent également que la Chine a un programme caché, qu’elle souhaite prendre le contrôle du monde, remplacer l’impérialisme américain par le sien. Il est évident que les journalistes et politiques de la région transatlantique ont énormément de difficultés à imaginer qu’un gouvernement puisse se vouer à l’intérêt commun. Car nous n’avons pas vu de gouvernements de ce type depuis bien longtemps, il faut plonger très profondément dans les mémoires. Ceci me rappelle un mot de Hegel, à propos d’un « individu historique mondial » dont le valet, qui voit toujours son maître en sous-vêtements, a du mal à l’imaginer en tant qu’individu historique mondial. Mais, ajoute-t-il, ce n’est pas le problème du maître, mais celui du valet.

Si l’on veut comprendre les véritables motivations de la Chine, la clef est la pensée de Confucius.

Confucius, ainsi que Mencius, ont influencé la philosophie chinoise et notamment la philosophie de l’Etat chinois depuis 2500 ans. Selon cette philosophie, l’homme est un être bon par nature. Les notions fondamentales de la philosophie chinoise sont le ren, qui correspond à l’agapé, la charité ou l’amour chrétiens, et le li, qui veut dire principe, l’idée que la société connaîtra l’harmonie si chaque être humain et chaque chose s’épanouissent au mieux. Cela correspond à la notion de microcosme chez Nicolas de Cues : lorsque chaque microcosme s’épanouit au mieux apparaît la concordance dans le macrocosme, ou, dans la pensée de Leibniz, la monade, l’idée que si chacun développe pleinement son potentiel, on obtient l’harmonie.

L’harmonie est au cœur de la philosophie confucéenne. Plutôt qu’une relation esthétique, il s’agit d’un développement mutuel qui va de l’avant en contrepoint : dès lors que tous les microcosmes en bénéficient, l’harmonie surgira dans le macrocosme.

J’en viens à une autre notion, le Mandat céleste, soit l’étroite harmonie entre la nature et l’être humain, apparue sous la dynastie des Zhou occidentaux (1046-771 av. J.-C.), selon laquelle il règne entre le Ciel et l’Homme, une harmonie et une relation très proche.

Toutes les grandes religions et philosophies intègrent ce concept, notamment la cosmologie indienne dans la tradition hindoue. En Europe nous le connaissons sous la forme de « loi naturelle ». C’est vers cela que nous devons tendre si nous voulons aller au-delà des niveaux actuels de pensée.

Une harmonie sans uniformité est ce dont Confucius traite dans les Analectes. Chez Nicolas de Cues, ce serait l’unité dans la diversité. Dans le Livre des rites préface au Grand Savoir attribué à Confucius, il est écrit : « Les anciens, qui souhaitaient que la vertu innée de tous les hommes demeure et soit lumineuse, ont dû apprendre à bien gouverner la nation ; à ces fins, ils ont d’abord assis l’harmonie au foyer ; à ces fins, ils se sont mis à se cultiver ; à ces fins, ils ont voulu mettre leurs pensées dans le droit chemin ; à ces fins, ils se sont efforcés de penser avec sincérité ; à ces fins, ils se sont efforcés de repousser au plus loin les frontières de la connaissance. Repousser au plus loin les frontières de la connaissance exige d’appréhender le principe derrière toute chose. »

Ainsi l’harmonie dans la société et parmi les nations exige d’appréhender les principes sous-tendant toute chose. Friedrich Schiller ne disait pas autre chose dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme : seul le scientifique et l’artiste classique appréhendent la vérité. Dans le recueil de 71 discours intitulé Gouvernance de la Chine (2013-14), Xi Jinping reflète cet esprit confucéen en citant le vieux dicton selon lequel : « Apprendre, c’est l’arc dont la flèche est l’expertise. Apprendre doit être pour vous la première des priorités, une responsabilité, un soutien moral et un mode de vie. Fondez en vous la conviction que les rêves commencent par l’apprentissage. » Selon Xi, « Voici ce que voulait dire Confucius lorsqu’il écrit : ’’Si vous arrivez à vous renouveler un jour, alors faites-le chaque jour.’‘ Oui, il faut se renouveler chaque jour. La vie ne sourit pas à ceux qui s’accrochent aux sentiers battus ou se satisfont du statu quo ; elle n’attend pas ceux qui manquent d’ambition et se tournent les pouces en consommant les fruits du labeur d’autrui. »

Lyndon LaRouche souligne, quant à lui, que nous ne pouvons nous permettre de refaire aujourd’hui ce que nous faisions encore hier – nous devons être créateurs et innover avec chaque jour qui naît. Xi Jinping cite Victor Hugo selon lequel « les choses déjà créées sont insignifiantes comparées à celles qui doivent être créées ».

Au fil des siècles, la Chine a su progresser pas à pas grâce à la ténacité de générations successives, et à l’esprit de la nation cherchant à s’améliorer elle-même au moyen d’un travail acharné. « Une économie basée sur l’innovation » est l’objectif en cours de réalisation ; on ne parlera plus du « Made in China », mais du « Created in China ». Xi Jinping incite son peuple à faire des percées dans des domaines scientifiques fondamentaux : structure de la matière, évolution de l’univers, origines de la vie, nature de la conscience.

Où nous conduit ce nouveau chemin ? Vers l’innovation scientifique et technologique, vers l’accélération de la croissance tirée par l’innovation. Sa fierté : disposer du plus grand nombre de scientifiques et d’ingénieurs du monde entier.

Mais j’ai été très impressionnée par cette citation de Xi Jinping : « Telles les douces pluies du printemps qui tombent silencieusement, essaimons les valeurs socialistes essentielles d’une manière douce et vivante, en nous servant de toutes les formes culturelles. Formons le peuple grâce aux meilleures œuvres littéraires et aux meilleures œuvres d’art : qu’est-ce que le vrai, le beau et le bon ? Qu’est-ce que le faux, le malveillant, le laid ? Que doit-on louer, encourager, et que doit-on rejeter et repousser ? »

Pour ma part, j’aimerais entendre nos hommes politiques en Europe et aux Etats-Unis se prononcer pour la réalisation « du vrai, du beau et du bon ». Dans l’Antiquité, la Grèce classique voyait déjà la cohérence entre ces concepts. On considérait qu’il existe une vérité accessible à la connaissance, que l’homme est foncièrement bon, qu’en cherchant la vérité, il découvrira la beauté et que le beau se trouve au sein même de ce processus de découverte. Cette notion est le noyau même de la période dite classique en Allemagne, où selon Friedrich Schiller, « l’Art ne peut s’appeler art que s’il est beau, sans quoi il ne saurait élever l’âme. »

Si nous acceptons la définition de Schiller, la majorité de ce qui est produit aujourd’hui n’est pas de l’art, en raison de l’absence de toute beauté. Car le concept de beauté est dérivé de la raison et non des expériences sensorielles. Selon Schiller, une simple opinion ou penchant personnel ne permet pas de définir le beau. La beauté est une notion intimement liée à la raison, qui fait cependant appel aux sens et à travers l’éducation esthétique, la beauté devient synonyme de l’heureuse réconciliation entre Raison et perception sensorielle. Là où règne la beauté naîtra l’harmonie des éléments.

L’idéal de Friedrich Schiller était l’être humain pour lequel la liberté et la nécessité, le devoir et la passion se fondent dans une parfaite unité, l’âme « éduquée » (schöne Seele). L’analogie entre beauté et liberté saute aux yeux, les deux prenant leur origine dans le for intérieur de l’homme et non dans des facteurs qui lui sont externes. A son tour, l’idée la plus puissante de cette auto-détermination n’est que le reflet de certains traits caractérisant la nature elle-même, auxquels nous avons donné le nom de « Beauté ».

Plus encore, la Beauté est pour Schiller la condition nécessaire de l’espèce humaine. Si l’Etat est un instrument, l’objectif est l’humanité. Tout Etat idéal présuppose ainsi une humanité idéale, reposant sur les lois du Beau. En 1789, Schiller écrit à son ami Körner : « Que reste-t-il de la vie d’un homme si vous lui enlevez l’apport de l’Art ? Un champ de ruines s’étirant à l’infini. Car en privant la vie de tout ce qui sert la Beauté, il n’y reste que la Nécessité, celle-ci n’étant destinée qu’à nous protéger contre la Mort qui rôde. »

Voilà un argument convaincant de Schiller contre un Etat dont le seul but serait la stabilité du pouvoir, c’est-à-dire l’Etat tel que nous le connaissons aujourd’hui. Nos hommes d’Etat ne s’intéressent ni à la beauté ni à la perfection des peuples, mais à sauvegarder leur carrière, leur position. Lorsque le beau sera devenu l’objectif des peuples et des nations, lorsque l’organisation du monde ne se vouera plus exclusivement à éviter le destin fatal, alors seulement aurons-nous une véritable et grande humanité. L’Etat du monde occidental, et en particulier des Etats-Unis après l’attentat du 11 septembre 2001, devrait être examiné du point de vue des 28 pages qui seront prochainement publiées, révélant qui a financé cet attentat, ainsi que des documents de la DIA sur l’attaque à Benghazi [qui a coûté la vie à l’ambassadeur américain en Libye]. La guerre contre le terrorisme est une hydre ; elle a rendu la vie pénible pour les citoyens en la réduisant à la seule protection contre la menace du terrorisme.

A mon sens, ce nouveau modèle de collaboration entre nations n’est pas une utopie mais une vision d’avenir. Nicolas de Cues, le philosophe qui, dans la tradition européenne, est le plus proche de Confucius, a inauguré une approche philosophique nouvelle pour son époque, qui permit à l’Europe de se détacher réellement du Moyen-âge. Il a déclaré que le principe qui crée l’ordre et la totalité, l’idée d’une concordance universelle, est que l’harmonie n’est pas une notion esthétique ; mais que les microcosmes doivent se développer de façon contrapunctique, et au bénéfice de l’autre – c’est l’idée du « gagnant-gagnant », le principe qui inspira la Paix de Westphalie.

Comment se fait-il que certains comprennent cette vision des choses et y adhèrent, et pas d’autres ? Le problème est épistémologique. Nicolas de Cues fait la distinction entre ratio d’une part (ces gens « bourrés de bon sens », dirait Lyndon LaRouche), et de l’autre, l’intellect et la raison. Au niveau du ratio, de « l’entendement », nous sommes pris par les contradictions aristotéliciennes de ce que perçoivent nos sens. Par contre, l’intellect, la raison, transcendent le ratio ; l’intellect se manifeste comme une préscience indestructible, l’œil invisible à la recherche de la vérité. Sans cette préscience, nous ne nous mettrions jamais sur la voie de cette recherche, ou si nous y trouvions quelque chose, nous serions incapables de savoir si c’est bien ce que nous cherchions. L’intellect est une perception intuitive qui nous dévoile la cohérence et les notions de relations causales, de liaisons. Il s’agit d’une méthode nouvelle de penser, foncièrement différente des procédés discursifs. L’aristotélicien « bourré de bon sens » est, selon Nicolas de Cues, tel un cheval attaché à sa mangeoire, qui ne mangera que ce que l’on y met.

Dès que vous rejoignez le niveau de l’intellect, il vous faut vous libérer des opinions reçues et vous ouvrir aux idées nouvelles – vous arracher de la mangeoire. Pour la plupart des Européens, « y’a rien à faire » ! Rien n’est moins vrai ! Pourquoi l’Europe devrait-elle faire sienne cette politique américaine d’implantation de missiles sur notre continent, qui en fait la cible de sa propre extinction ? Pourquoi foncer vers une nouvelle guerre fondée sur les seuls mensonges que l’on nous raconte sur la crise ukrainienne ?

La vérité doit resurgir. S’opposer à la guerre ne suffit pas. Peut-être nous faut-il prendre le chemin de Charles de Gaulle en 1966 – sortir de l’OTAN. Plus fondamental encore, il faut nous mobiliser au maximum de nos capacités, de nos forces, pour que l’Europe et les Etats-Unis rejoignent le Pont terrestre mondial et que s’instaure un ordre mondial pacifique au XXIe siècle. En faisant le lien entre la Nouvelle route de la soie et le Pont terrestre mondial, non seulement nous forgerons la coopération avec les pays en voie de développement, l’Afrique, l’Amérique latine, mais nous pourrons reconstruire les Etats-Unis ! Il faut construire un système transcontinental rapide à travers les Etats-Unis, dont l’infrastructure est en ruine. Il faut déclarer la guerre à la désertification, car la Californie, le Texas et les Etats à l’Ouest du Mississippi meurent de soif.

Le Premier ministre indien Modi vient d’annoncer que l’Inde allait construire cent nouvelles « villes intelligentes », projet auquel nous avions donné le nom, il y a des années déjà, de « villes de Cues ». Il faut reconstruire l’Europe du sud, le Moyen-Orient, l’Afrique, éradiquer la faim dans le monde pour en faire une planète où chacun pourra vivre à son aise. Il nous faut établir un nouveau paradigme basé sur les objectifs communs de l’humanité. Nous devons lancer de manière consciente la prochaine phase d’évolution de l’humanité, signer des accords pour explorer ensemble l’espace. Les pays du BRICS sont déjà dans l’espace, et l’Europe et les Etats-Unis doivent mettre les bouchées doubles pour y contribuer. Pensons comme les astronautes, les cosmonautes, les taïkonautes, qui observent la planète bleue depuis l’espace et se disent que « les frontières n’existent pas », en se rendant compte de combien petite est notre planète au cœur du vaste système solaire et d’une galaxie plus vaste encore, au milieu de milliards de galaxies.

Si l’on veut que l’espèce humaine existe d’ici 100 ans, d’ici 1000 ans, d’ici 100 millions d’années, il va falloir prouver que tous ces géophysiciens qui martèlent qu’il est minuit moins une et que notre espèce disparaîtra à minuit plus 2, se sont trompés, car notre espèce est la seule, à notre connaissance, qui soit créatrice.

Selon Vladimir Vernadski, la noosphère tendra de plus en plus à dominer la biosphère car le processus créateur humain deviendra une force toujours plus importante au sein de l’univers. C’est vers cela que nous devons tendre. A l’avenir, l’identité de chaque être humain en tant que « génie » sera non pas l’exception, mais la règle. Pour ce que cela devienne réalité, la beauté est la condition nécessaire de l’homme.

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