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Alain Corvez : La France ferait bien de se rappeler de son héritage gaulliste

Alain Corvez : La France ferait bien de se rappeler de son héritage gaulliste

Alain Corvez

Conseiller en stratégie internationale, ancien conseiller en relations internationales aux ministères de la Défense et de l’Intérieur, Paris.


Dans son discours à l’Assemblée générale des Nations unies le 24 septembre 2013, le président iranien Hassan Rouhani a dit des choses essentielles pour améliorer les relations entre les nations du monde. Invitant à instaurer la modération dans les revendications des Etats, il a suggéré de supprimer « l’option militaire est sur la table » et d’adopter l’attitude « la paix est toujours possible », proposant enfin la formule : « Le monde contre la violence et l’extrémisme. »

Le monde, a-t-il dit, n’est plus le résultat d’un équilibre entre deux blocs, ni dominé par une seule puissance, mais désormais multipolarisé et tous les Etats dont la base du pouvoir est dépendante des urnes, c’est-à-dire représente l’expression de la volonté du peuple, ont droit au même respect de leurs particularismes et de leurs intérêts légitimes. Aucune culture n’est supérieure aux autres et ne doit chercher à s’imposer.

Ce programme frappé au coin du bon sens et de l’humanisme universel ne semble pas être appliqué puisque des conflits incessants éclatent partout, notamment au Moyen-Orient, mais aussi au centre de l’Europe avec l’Ukraine, ou en Asie qui voit monter la tension entre les Etats-Unis et ses alliés et la Chine. L’affrontement nucléaire direct entre les puissances qui détiennent l’arme fatale étant impossible du fait de la dissuasion, toujours active quoi que certains en disent, elles poursuivent leurs objectifs stratégiques en entretenant des crises régionales avec leurs féaux par procuration.

En 2007 à Munich, le président Poutine avait fait un discours remarquable lors d’une réunion de l’OSCE, affirmant qu’un nouvel équilibre du monde se mettait en place avec la fin des hégémonies et qu’il fallait s’y adapter. Il ajoutait que la démocratie devait s’imposer partout mais qu’elle devait respecter les différences de races, de cultures et d’opinions et qu’elle ne consistait pas à l’oppression de la ou des minorités par une majorité autoritaire et dominatrice, mais à la prise en compte par celle-ci de l’ensemble des aspirations des populations.

Plus récemment, une résolution des Nations unies a appelé la communauté internationale à s’engager dans de nouveaux rapports entre les Etats, reconnaissant les différences et les respectant, invitant les nations à défendre leurs intérêts justifiés avec modération et à rejeter les extrémismes porteurs de violence. Cette résolution [1] reprenant les propositions du président Rouhani a été adoptée par l’Assemblée générale le 18 décembre 2013. Elle encourage les nations à défendre leurs intérêts par le dialogue et le respect des différences afin de bâtir « un monde contre la violence et l’extrémisme » où les inévitables rivalités seront apaisées par une concertation internationale équitable et non par des guerres.

Il faut noter le peu d’écho que cet important événement a eu dans les médias occidentaux.

C’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu car les hommes ont désormais une puissance qui leur permet de faire exploser notre planète par un coup de folie. La dissuasion a fonctionné jusqu’à maintenant, nous préservant d’un cataclysme, l’équilibre de la terreur retenant jusqu’ici celui qui aurait eu envie de détruire son ennemi en lançant une salve nucléaire parce qu’il savait qu’il serait anéanti au même moment par la représaille automatique, mais on sent bien que certains bellicistes veulent nous persuader que les Etats-Unis possèdent un bouclier anti-missile qui les protège de frappes nucléaires en retour, rendant leur suprématie militaire à nouveau totale et annihilant le concept de dissuasion. Ceci est évidemment faux puisqu’aucun bouclier ou « dôme de fer » n’est entièrement étanche et ne le sera pas à moyenne échéance. En outre, les nouvelles puissances spatiales inventent chaque jour des armes nouvelles qui anéantissent la suprématie d’un quelconque adversaire.

Les peuples du monde, quelles que soient leurs richesses économiques ou culturelles doivent être égaux en droit. Aucune culture ne peut s’attribuer la prééminence et se croire le phare du monde. La liberté dont la statue éclaire le monde à l’entrée de la baie d’Hudson est l’apanage de toutes les nations, sans que l’une d’entre elles puisse se prévaloir à cet égard d’une supériorité éthique quelconque, même si elle possède momentanément une supériorité économique et militaire sur les autres.

La France ferait bien de se souvenir de son héritage intellectuel des « Lumières », et du niveau de prestige mondial où la politique du général de Gaulle l’avait portée en refusant l’alignement sur aucun bloc — à une époque où il était bien plus difficile que maintenant de sortir de l’OTAN — défendant le droit des peuples à décider eux-mêmes de leurs destins, prônant l’entente entre toutes les nations du globe qui l’acclamaient lors de ses nombreux tours du monde, car il connaissait les différentes cultures et proposait partout, en Asie, en Afrique, en Amérique latine de respecter les hommes avec leurs différences. C’est ce qui le guidait aussi dans sa volonté de construire une Europe de nations gardant leurs particularismes et leur souveraineté, qui devait, à ses yeux, s’ouvrir à une grande coopération avec la Russie et au-delà. Pour nous Français, qui possédons la deuxième Zone économique exclusive (ZEE) mondiale grâce à nos territoires ultra-marins répartis sur les cinq continents, tout doit nous pousser à avoir une politique de citoyens du monde en entretenant avec toutes les nations des rapports de respect, de confiance et de coopération.

A cet égard, le choix diplomatique de notre pays de s’appuyer pour son action sur des monarchies arabes sunnites niant totalement les droits de l’homme, et d’attaquer des pays qui luttent contre le terrorisme islamique que ces mêmes monarchies soutiennent, est totalement aberrant et contraire à notre tradition historique, sans compter que tous les experts s’accordent pour reconnaître que ces régimes rétrogrades n’ont plus pour longtemps à subsister, menacés qu’ils sont par leurs querelles internes, les oppositions qui se redressent, et l’éloignement de leur protecteur américain : quand des dirigeants élus démocratiquement prendront les rênes de la péninsule arabique , quel jugement porteront-ils sur notre connivence actuelle avec leurs anciens oppresseurs. Si Israël est devenu leur allié objectif aujourd’hui, c’est parce qu’il craint lui aussi l’éloignement des Etats-Unis qui veulent mettre un terme à la « fitna », dispute entre chiites et sunnites, et tire aussi profit du terrorisme de Daesh qui ne l’a jamais menacé. La vente d’avions, navires et systèmes d’armes ne justifie pas une telle mésalliance. Les Etats-Unis, justement, sont en train de modifier leur stratégie au Moyen-Orient en se rapprochant de l’Iran et ils pourraient enfin décider de lutter plus utilement contre Daesh dont ils connaissent bien les commanditaires. On peut comprendre l’inquiétude d’Israël et des wahhabites de la péninsule ainsi embarqués dans le même bateau qui prend l’eau.

Le souhait d’un monde apaisé avait été exprimé maintes fois par le général de Gaulle, qui alimentait ses visions prophétiques dans une profonde réflexion philosophique, ce qui l’amenait à délivrer des messages au monde entier que les grands d’alors n’appréciaient pas toujours, mais qui emportaient l’adhésion des peuples. S’adressant aux universitaires mexicains lors de son voyage au Mexique en mars 1964, il délivra un message philosophique et politique, d’une frappante actualité cinquante ans après, dont j’extrais ce court passage significatif :

En effet, par-dessus les distances qui se rétrécissent, les idéologies qui s’atténuent, les politiques qui s’essoufflent, et à moins que l’humanité s’anéantisse elle-même un jour dans de monstrueuses destructions, le fait qui dominera le futur c’est l’unité de notre univers ; une cause, celle de l’homme ; une nécessité, celle du progrès mondial, et, par conséquent, de l’aide à tous les pays qui le souhaitent pour leur développement ; un devoir, celui de la paix, sont, pour notre espèce, les conditions mêmes de sa vie.

Le Général a donc été le premier à défendre une autre organisation du monde, à une époque où les deux blocs rivaux dominaient pourtant le monde et ne laissaient guère de place à la contestation de leur hégémonie. Lors d’une conférence de presse à l’Elysée le 9 septembre 1965, il n’hésita pas à proposer un nouveau système monétaire international :

.… C’est ainsi que, tenant pour bon qu’un système international aménage les rapports monétaires, nous ne reconnaissons à la monnaie d’aucun Etat en particulier aucune valeur automatique et privilégiée par rapport à l’or, qui est, qui demeure, qui doit demeurer, en l’occurrence, le seul étalon réel. C’est ainsi qu’ayant été, avec quatre autres puissances, fondateurs de l’ONU et désirant que celle-ci demeure le lieu de rencontres des délégations de tous les peuples et le forum ouvert à leurs débats, nous n’acceptons pas d’être liés, fût-ce dans l’ordre financier, par des interventions armées contradictoires avec la Charte et auxquelles nous n’avons pas donné notre approbation. D’ailleurs, c’est en étant ainsi ce que nous sommes que nous croyons le mieux servir, en définitive, l’alliance des peuples libres, la communauté européenne, les institutions monétaires et l’Organisation des nations unies… En effet l’indépendance ainsi recouvrée permet à la France de devenir, en dépit des idéologies et des hégémonies des colosses, malgré les passions et les préventions des races, par-dessus les rivalités et les ambitions des nations, un champion de la coopération, faute de laquelle iraient s’étendant les troubles, les interventions, les conflits, qui mènent à la guerre mondiale.

Il ajoutait dans cette même conférence de presse sa vision de l’avenir du monde :

…La même entente des mêmes puissances qui ont les moyens de la guerre et de la paix est, pour la période historique que nous traversons, indispensable à la compréhension et à la coopération que le monde doit établir entre toutes ses races, tous ses régimes et tous ses peuples, à moins d’aller, tôt ou tard à sa propre destruction. Il se trouve, en effet, que les cinq Etats, dont dépend en définitive le destin de l’Asie du Sud-est et qui, d’ailleurs, sont ceux qui détiennent les armes atomiques, ont fondé en commun, il y a vingt ans, l’Organisation des nations Unies pour être les membres permanents de son Conseil de sécurité. Ils pourraient demain, s’ils le voulaient, et dès lors naturellement qu’ils y seraient ensemble, faire en sorte que cette institution, au lieu d’être le théâtre de la vaine rivalité de deux hégémonies, devienne le cadre où serait considérée la mise en valeur de toute la terre et où s’affirmerait, par-là, la conscience de la communauté humaine. Il va de soi qu’un tel projet n’a actuellement aucune chance de voir le jour. Mais s’il devait jamais apparaître que le rapprochement, puis l’accord, des principaux responsables du monde fussent possibles à cette fin, la France serait, pour sa part, toute disposée à y aider.

Imprégné de ces visions, nous observons évidemment d’un œil intéressé et sympathique les efforts que les BRICS et, au-delà, les émergents, font pour s’organiser dans le sens d’accords « gagnant-gagnant ». Le grand projet de Nouvelle route de la soie et les innombrables projets d’infrastructure qui lui sont liés, la création par la Chine de la Banque asiatique d’investissement et d’infrastructure (BAII) ouverte à tous et sans droit de veto d’aucun participant, la création de l’Union économique eurasienne par la Russie, UEE, qui pourrait déboucher sur une union monétaire eurasienne sont des indications concrètes que le monde s’est affranchi de la tutelle américaine. Car enfin, les Etats-Unis et ses alliés qu’on a coutume d’appeler l’Occident ne représentent qu’environ 800 millions à 1 milliard d’habitants, suivant qui on inclut dans cette désignation de plus en plus imprécise sur ses soi-disant valeurs, et le reste du monde est dans la logique internationale quand il s’organise en fonction de son poids démographique, économique et même militaire : les BRICS représentent un cinquième de l’économie mondiale et n’ont au FMI que 11 % de voix. Il est bien normal que le monde se rééquilibre sur des bases plus réalistes et justes.

Dans ce nouvel ordre mondial, l’Europe ferait bien de revoir où est son intérêt : il est de s’associer à l’organisation du continent en coopération avec la Russie au lieu d’accompagner l’affrontement que développent les Etats-Unis contre elle. L’hostilité de l’Union européenne dessert les intérêts de ses membres et ne fait que repousser Moscou vers l’Asie et notamment vers Pékin. L’UE, de plus en plus inexistante au plan politique, vacillant économiquement dans des structures paralysantes, ne semble pas réaliser les nouvelles donnes géopolitiques. Seules la France et l’Allemagne ont montré leur souhait de calmer le jeu en Ukraine, mais il faudrait des initiatives beaucoup plus volontaristes pour parvenir à un accord qui donnerait des assurances aux deux camps qui s’opposent. La crise ukrainienne pourrait être le catalyseur d’un ébranlement durable de cette organisation supranationale qui rend les grands pays fondateurs esclaves des petits pour toute décision concernant les relations internationales. Les sanctions sont contre-productives et plusieurs pays ont exprimé leur ferme opposition à leur prolongation, comme l’Italie, la Hongrie, la Slovaquie, la Grèce et Chypre, parfois de façon virulente. La France et l’Allemagne, prisonnières de leurs positions de moteur de l’UE hésitent à s’engager trop pour un allègement ou une suspension, mais on sait que de nombreux groupes économiques dans ces pays font pression pour un changement de politique vis-à-vis de la Russie. De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le refus de livrer les BPC Mistral comme une rupture de contrat inadmissible et une tâche sur la parole de la France. Les relations extérieures des Etats membres sont subordonnées à une politique décidée à Bruxelles sous influence clairement américaine, influence très générale mais qui trouve un écho particulièrement en Pologne et dans les Etats baltes. Combien de temps encore les grands pays fondateurs accepteront cette sujétion qui leur fait adopter des positions contraires à leurs intérêts ? Je ne ferai pas de pronostic mais il est désormais évident que les dissensions internes de cette UE exigent de la refonder sur la base d’une Europe de nations souveraines qui reprendront avec la Russie une coopération et un dialogue interrompu pour déboucher un jour sur un partenariat économique et stratégique.

L’avenir de l’humanité est dans la coopération équilibrée entre les Etats du monde pour développer des projets « gagnant-gagnant », en respectant les particularismes et les cultures de tous dans l’intérêt général. La guerre ne doit plus être le moyen de régler les différences ou les rivalités entre nations qui doivent le faire par des échanges diplomatiques et un désarmement général équilibré doit être engagé, auquel la France devrait se joindre quand les grands détenteurs d’armes de destruction massive auront entamé le démantèlement de leur arsenal fatidique.

En conclusion, reprenons la formule du président Rouhani : « La paix est toujours possible » au lieu de la menace belliciste : « L’option militaire est sur la table. »


Rainer Sandau: Vers une nouvelle ère de coopération spatiale internationale

Les objectifs de l’IAA consistent à promouvoir le développement de l’astronomie à des fins pacifiques ; d’offrir une reconnaissance à des individus ayant contribué à la science ou la technologie spatiale…


Séance de questions / réponses – Second panel

Question 1 Pourquoi la Grèce ne rejoint pas les BRICS et ne quitte pas l’Euro ?
Question 2 Pourquoi le gouvernement grec ne saisit-il pas l’occasion pour dire “non” aux politiques d’austérité ?
Comment pouvons-nous influencer les peuples d’Europe à l’ère de l’information ?
Question 3 Conclusion

Adeline Djeutie: Soutenir le développement énergétique dans les pays en développement et émergents: Quel rôle pour le nucléaire?

L’énergie joue un rôle essentiel dans le développement économique et social. En fait, il n’y a pas de développement possible et de lutte contre la pauvreté sans un approvisionnement fiable et durable en énergie…


Stélios Kouloglou : Dénonçons le coup d’Etat silencieux contre la Grèce

Stélios Kouloglou

Stélios Kouloglou, journaliste, écrivain, cinéaste et député européen de Syriza, Athènes.


Depuis son élection en janvier, le gouvernement grec doit affronter un coup d’Etat qui se déroule en silence. Le but en est de renverser le nouveau gouvernement. De le remplacer par un gouvernement docile aux créanciers et en même temps de décourager les électeurs « rêveurs » de l’Espagne ou d’autres pays, qui croient encore à la possibilité de gouvernements opposés au dogme germanique de l’austérité. On tue un gouvernement, on assassine l’espoir.

La situation rappelle le Chili du début des années ’70, lorsque le président américain Richard Nixon s’employa à renverser Salvador Allende pour empêcher des débordements similaires ailleurs dans l’arrière-cour américaine. « Faites hurler l’économie ! » fut l’ordre du président américain à la CIA et à ses autres services, avant que les chars du général Augusto Pinochet ne prennent la relève…

En 1970, les banques américaines ont arrêté les crédits vers les banques chiliennes. Une semaine après les élections du janvier 2015, M. Draghi président de la Banque centrale européenne, a coupé, sans la moindre justification, la principale source de financement des banques grecques, remplacée par l’Emergency Liquidity Assistance (ELA), un dispositif plus coûteux devant être renouvelé chaque semaine. Comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des dirigeants grecs.

Et après l’épée de Damoclès il y a aussi la drogue.

Plus de 90 % des versements de nos créanciers leur reviennent pourtant directement -parfois dès le lendemain ! – puisqu’ils sont affectés au remboursement de la dette.
Mais, comme le non-remboursement de la dette équivaut à un « événement de crédit », à savoir une sorte de banqueroute, le déblocage de la dose est une arme très puissante dans les mains des créanciers, un moyen de chantage politique permanent.

Pendant cette guerre non déclarée, d’autres armes économiques sont aussi utilisées, comme les agences de notation. C’est un coup d’Etat moderne, comme on dit en anglais : not with the tanks, but with the banks.

Les médias ont aussi été utilisés pour attaquer le gouvernement, pour évoquer le spectre du Grexit (sortie de la Grèce de la zone euro) ou provoquer la panique. A la tête de l’offensive, on retrouve le journal Bild qui, en 2010, avait inauguré les « Unes » fracassantes dénonçant la « paresse » et la « corruption » des Grecs, invités à vendre des îles pour se désendetter. Ce même Bild publiait un pseudo reportage sur une panique bancaire à Athènes, n’hésitant pas à utiliser une photo banale où des retraités font la queue devant une banque pour toucher leur retraite.

De plus, les médias ont diffusé la théorie du sauvetage de la Grèce, tandis qu’en réalité, par les prêts accordés en Grèce en 2010, ce sont plutôt les banques françaises et allemandes qui ont été sauvées. Ces prêts avec, au début, un taux d’intérêt trop élevé, ont été présentés à l’opinion publique internationale et allemande comme une aide gratuite offerte aux « paresseux » et « corrompus ».

Voyez ce qui se passe en réalité. D’après Libération, depuis 2010, la France a peut-être gagné jusqu’à 2 milliards d’euros grâce à ces intérêts. Même l’Autriche, avec sa faible participation, a gagné 100 millions d’euros jusqu’à maintenant, d’après son gouvernement.
Pourtant, l’opinion publique allemande joue l’innocence. Il n’y a que quelques émissions humoristiques. C’est la façon par laquelle ils osent dire la vérité.

On nous accuse de ne pas vouloir faire passer de réformes. Mais, c’est nous qui, plus que personne, voulons faire passer des réformes. De vraies réformes, pas du chaos.

Ce qu’on exige de la Grèce, c’est l’application de la recette néolibérale. Chacun avec son obsession : les « idéologues » du FMI demandent la dérégulation du marché du travail ainsi que la légalisation des licenciements de masse, qu’ils ont promises aux oligarques grecs, propriétaires des banques. La Commission européenne, autrement dit Berlin, réclame la poursuite des privatisations susceptibles d’intéresser les entreprises allemandes (et cela, au moindre coût). Dans la liste interminable des ventes scandaleuses, se distingue celle effectuée par l’Etat grec en 2013, de vingt-huit bâtiments qu’il continue d’utiliser. Pendant les vingt années qui viennent, Athènes devra payer 600 millions d’euros de loyer, presque le triple de la somme qu’on a touchée grâce à la vente (et qui est directement revenue aux créanciers) !

Le gouvernement d’Athènes continue à jouir d’une grande popularité, malgré ses concessions : ne pas arrêter, comme promis, les privatisations décidées par le gouvernement précédent, ajourner l’augmentation du SMIC, augmenter la TVA.

Mais, en fin de compte, la question qui se pose est plutôt politique. Les élections ont-elles donc du sens, si un pays respectant l’essentiel de ses engagements n’a pas le droit de modifier sa politique ?

La tragédie grecque met en avant le besoin d’un cadre nouveau pour les relations internationales. Un cadre respectant la démocratie, la souveraineté et la dignité nationales de chaque pays, tout en favorisant les relations et les accords économiques qui ne feront pas allusion à la colonisation. Un cadre profitable à tous les acteurs concernés. Récemment, le gouvernement grec a annoncé qu’il solliciterait la participation de la Grèce à la nouvelle Banque des BRICS et que cette demande a déjà été acceptée positivement de la part de la Russie.  Dans ce climat surchargé de menaces et d’ultimatums, c’est vraiment une bouffée de soulagement et d’optimisme pour l’opinion publique grecque.

En position d’infériorité, le gouvernement athénien, abandonné par les forces au soutien desquelles il aspirait, telles que le gouvernement français, ne peut revendiquer la solution du problème majeur auquel le pays est confronté : une dette intolérable. La proposition d’organiser une Conférence internationale, comme celle de 1953 qui soulagea l’Allemagne de la plus grande partie des réparations de guerre, ouvrant la route au miracle économique, a été noyée dans une mer de menaces et d’ultimatums.

Les créanciers veulent qu’il ne reste que deux options au gouvernement de M. Tsipras : se laisser étrangler financièrement s’il persiste à vouloir appliquer son programme ou renier ses promesses et tomber, abandonné par ses électeurs.

Je peux vous assurer que nous résisterons. On ne va pas être soumis.
 
Je ne sais pas ce qui va se passer, mais un excellent article récent de Serge Halimi, paru dans Le Monde diplomatique, nous a fait penser à l’avenir et à la dimension historique de la bataille. Halimi écrivait alors, à propos de la Grèce :

« Et l’avenir fait penser à ce qu’écrivait la philosophe Simone Weil à propos des grèves ouvrières de juin 1936 en France : “Nul ne sait comment les choses tourneront. (…) Mais aucune crainte n’efface la joie de voir ceux qui toujours, par définition, courbent la tête la redresser. (…) Ils ont enfin fait sentir à leurs maîtres qu’ils existent. (…) Quoi qu’il puisse arriver par la suite, on aura toujours eu ça. Enfin, pour la première fois, et pour toujours, il flottera autour de ces lourdes machines d’autres souvenirs que le silence, la contrainte, la soumission.” Le combat des Grecs est universel. Il ne suffit plus que nos vœux l’accompagnent. La solidarité qu’il mérite doit être exprimée par des actes. Le temps est limité. »


Gian Marco Sanna: Le diapason de Verdi, une démonstration

Gian Marco Sanna: Le diapason de Verdi, une démonstration


Jean-Pierre Gérard – Rôle moteur de l’Etat dans les grandes infrastructures, mais échec de l’économie administrée

Jean-Pierre Gérard

Économiste, chef d’entreprise, ancien membre du Conseil économique de la Banque de France, Paris.


Depuis pratiquement 1970, je m’occupe de l’industrie, tout d’abord dans l’administration comme rapporteur général de la commission de l’Industrie du septième plan, puis par la suite dans les grandes entreprises. En 1994, Philippe Séguin, alors président de l’Assemblée nationale, me propose de me nommer au Conseil de la politique monétaire.

Mon intervention est axée sur trois idées simples, malheureusement peu ou pas partagées.

  1. En premier lieu, l’Etat gaspille les ressources financières de la nation dans ses interventions publiques. Ceci entraîne une raréfaction des ressources financières pour des activités plus productives, dans l’industrie surtout et dans l’agriculture.
  2. Cela doit nous conduire à une nouvelle approche des programmes d’infrastructures.
  3. Il faut viser au maximum à améliorer la profitabilité économique des infrastructures et interventions publiques dans l’économie.

Lorsque j’étudiais l’économie, à l’Institut d’études politiques, nous apprenions dans le manuel de Samuelson, professeur d’économie américain, qui sera prix Nobel ultérieurement. Il y était expliqué les principes keynésiens du multiplicateur et de l’accélérateur d’investissement. J’avais été pourtant très surpris que l’on nous fasse apprendre que la nature des travaux ainsi réalisés n’avait finalement aucune importance. En d’autres termes, on pouvait faire des investissements intelligents ou encore creuser des trous et les reboucher, cela devait avoir les mêmes conséquences.

Aujourd’hui, après plus de quarante ans d’expérience, je me méfie au plus haut point de cette affirmation. J’estime inadmissible que l’on puisse promouvoir des programmes d’infrastructures sans en mesurer de manière approfondie et l’utilité réelle et leur profitabilité économique.

Pourquoi faut-il une nécessaire profitabilité ?

A mon sens, les analyses de Keynes étaient largement dépendantes de la situation monétaire de son époque. Le rattachement à l’or était encore une réalité, même si le lien avec les différentes monnaies allait devenir beaucoup plus lâche. La masse monétaire mondiale était bien évidemment freinée. L’idée d’accroître les dépenses publiques avait donc pour effet d’injecter des liquidités. Ce qui, en période de pénurie monétaire comme cela était le cas au lendemain de la guerre, et en raison de l’ampleur des investissements de redressement économique, a incontestablement eu un effet bénéfique sur l’activité. La masse monétaire créée par la dépense publique agissait comme un prêt aux différentes activités économiques qui ne souhaitaient que cela pour repartir. C’est d’ailleurs ce que l’on a constaté, à toutes les périodes de l’histoire.

Notre situation aujourd’hui est profondément différente. Dans le monde, il y a partout un excédent monétaire, fruit de longues années de laxisme monétaire des Etats-Unis, grosso modo entre 1990 et 2007. Puis, devant la crise monétaire venant justement de ces excès, l’ensemble des autorités monétaires américaines et européennes ont continué d’injecter des masses considérables dans des programmes dits de « quantitative easing »

Il y a aujourd’hui un tel excès monétaire que personne ne sait où investir. Les dépenses collectives, non maîtrisées, s’orientent de plus en plus vers des activités sans rentabilité, et financées uniquement par un accroissement systématique de l’endettement.

L’ensemble des dépenses collectives faites sans rentabilité ont un effet d’éviction dramatique. En reprenant le graphique ci-dessus, on s’aperçoit que le PIB mondial est de l’ordre de 50 000 milliards de dollars, couvert par une capitalisation boursière de l’ordre de 100 000 milliards de dollars. On peut donc raisonnablement estimer qu’il faudrait de l’ordre de 200 000 milliards de dollars pour pouvoir faire tourner l’ensemble de l’économie mondiale sans risque de pénurie monétaire. Il y a donc de l’ordre de 300 000 à 400 000 milliards de dollars qui tournent sur eux-mêmes sans apporter quoi que ce soit à l’économie réelle.

On se trouve donc dans une situation inédite, d’un côté une sphère financière qui tourne sur elle-même, et d’autre part une sphère productive dont les rendements nominaux et réels sont ponctionnés par la sphère financière. Cette ponction s’organise directement au travers de la fiscalité dans la plupart des pays dits industrialisés, mais aussi par l’élimination (le chômage) d’une partie importante des ressources humaines. Ce chômage est attribué généralement à la concurrence des pays à bas coût, mais le différentiel des coûts ne serait pas si élevé, si la ponction faite sur le secteur productif était moindre.

Les masses monétaires, déversées par la Fed, puis par la BCE, ne font qu’aggraver le phénomène. La quasi-totalité des « quantitative easing » va dans le secteur financier sans aucune utilité pour le secteur productif.

Approche micro-économique du rôle des grands programmes d’infrastructures

L’approche macro-économique et monétaire dans la situation actuelle ne permet guère de savoir ce qu’il faut faire. En revanche il semble possible de faire une typologie des infrastructures, définies en fonction de leurs objectifs, des moyens et de leur réussite. Les différents plans que nous avons connus ont quasi systématiquement échoué lorsqu’ils visaient à intervenir sur les structures productives. Nous avons quand même constaté quelques exceptions lorsque l’Etat était client ou lorsque les masses financières en jeu dépassaient les capacités des acteurs économiques.

1. Les interventions horizontales

  • La première forme d’interventions est faite par le biais des subventions sur le prix de production. L’exemple type en est la PAC, qui a obtenu ce résultat admirable de faire que l’agriculture allemande est aujourd’hui plus efficace que l’agriculture française pour laquelle elle avait été conçue.
  • Les crédits impôt-recherche, le CIR et le CICE dit compétitivité emploi ne sont que des niches indispensables pour compenser la fiscalité dévorante.

2.Les plans sectoriels :

  • Le plan acier
  • Le plan machine-outil
  • Le plan calcul
  • Le plan informatique pour tous

Tous ces plans ont été en fait des échecs dramatiques. Tous ont eu comme conséquence de faire disparaître la quasi-totalité des entreprises qui avaient eu parfois des réussites (Bull) spectaculaires, mais dont l’insuffisante rentabilité ne permettait pas de supporter les risques inhérents à toute activité industrielle.

3.Les nationalisations

  • Si l’on récapitule toutes les nationalisations du secteur industriel faites en 1981, elles se sont toutes soldées par des échecs retentissants.
  • Les nationalisations des banques n’ont pas eu d’énormes succès (voir le Crédit lyonnais) et ont conduit à la situation actuelle de la politique monétaire du pays.

4.La politique de clientèle

  • C’est, à ma connaissance, la seule politique menée par l’Etat ou par les collectivités publiques qui ait eu quelque succès. Les secteurs concernés sont essentiellement ceux qui relèvent de la politique régalienne de l’Etat. Ainsi en est-il de l’aéronautique, de l’espace, de la construction navale, et du matériel militaire.
  • D’autres collectivités publiques ont permis d’avoir une politique industrielle efficace. La RATP, et même dans certains cas la SNCF, ont permis le développement d’industries performantes. Cela a été le cas d’un grand nombre d’entreprises du Club des numéros un. Je vous donnerai un seul exemple, celui de la société Desgranges et Huot. Cette société qui fabriquait des étalons fondamentaux de pression a eu pendant de très nombreuses années des liens extrêmement forts avec le laboratoire national d’essais. Cette collaboration qui s’est étalée sur plus de vingt ans, a eu comme résultat que la société est devenue numéro un mondial et que le LNE a été le leader mondial de la métrologie des pressions.

5.Le choix des dirigeants.

  • A partir du moment où le capital des entreprises appartenait à l’Etat, le choix des dirigeants se portait inévitablement sur l’intelligentsia administrative. Elle connaissait peu la réalité des entreprises et surtout se croyait habilitée à promouvoir des mutations plus justifiées par un souci de communication que par la réalité industrielle.

Les défauts de l’intervention publique et quelques raisons de l’inefficacité

J’aimerais terminer cet exposé en essayant de comprendre pourquoi les interventions de l’Etat sont presque toujours sources de gaspillage.

  • Le programme incontestablement le plus réussi des cinquante dernières années fut le programme électronucléaire. Lancé au cours du septième plan par Valéry Giscard d’Estaing, il était destiné à donner une plus grande indépendance énergétique à notre pays. Cet objectif est atteint, mais un autre objectif moins visible est qu’il introduisit une pression à la baisse sur les prix du pétrole. Si l’investissement fut extrêmement lourd, le coût de fonctionnement donna un avantage compétitif à notre pays.
  • En revanche tous les autres programmes quels qu’ils soient, ont souffert de trois maux récurrents dans l’intervention de l’administration française. Retour ligne manuel
    — Le démarrage tardif en raison du conservatisme politique. Raymond Barre, alors Premier ministre, déclarait que la France avait été obligée de lancer le plan télécommunications, et que seul l’Etat pouvait le faire en raison de l’importance des investissements. C’était oublier un peu vite que dans tous les pays du monde, le téléphone puis les télécommunications se sont développés par le secteur privé. L’équipement téléphonique a coûté cher car c’était un investissement de rattrapage, et le retard était dû à l’administration des PTT. La même remarque peut être faite pour les autoroutes.

Le saupoudrage et la complexité

Dans le cadre des interventions sectorielles, deux défauts coexistent :

Le saupoudrage Retour ligne automatique
Il était fréquent de constater que certains investissements devaient être partagés entre plusieurs fournisseurs. On aboutissait alors à un accroissement des coûts et surtout à une mauvaise image de marque de l’industrie française.

La complexitéRetour ligne automatique
Très fréquemment, les spécifications techniques ne tiennent aucun compte des aspects de marketing. Un exemple tiré de mon expérience personnelle : en 1988, l’ONERA et une société américaine développaient un détecteur de foudre. L ’ONERA avait mis au point un appareil d’excellente qualité, en tout point supérieur à l’appareil américain. Seules difficultés, son coût était le double de l’appareil américain, et la sortie en production avait été faite deux ans avant. Il en était résulté que même imparfait, c’est l’appareil américain qui a équipé les stations Météorage de Météo France. Ces appareils ont été améliorés par la suite alors que les appareils français n’ont pas vu le jour.

Tout investissement ayant réussi doit être poursuivi partout.

Un des comportements les plus fréquents du monde politique français est de vouloir copier ce qui a réussi ailleurs, ou de vouloir s’équiper à tout prix de ce qui est perçu comme une vitrine très positive de son action. Je donnerai ici un exemple : le TGV.

Les premiers TGV ont été un indéniable succès. Les raisons de l’investissement sur la ligne Paris-Méditerranée sont parfaitement connues, et peuvent s’expliquer par la nécessité de construire de nouvelles lignes en raison des étranglements à la sortie de Paris, et surtout en raison des populations drainées. Paris, Lyon et Marseille représentent le tiers de la population française. Devant le succès, chacun voulut son TGV. D’abord l’Ouest, mais avec une population desservie beaucoup plus limitée. Puis l’Est qui est devenu carrément déficitaire. Depuis plus de dix ans, le succès technique et commercial s’est transformé en machine à perdre.

En guise de conclusion, vous aurez compris que je ne suis pas très favorable à l’intrusion idéologique de l’État dans le domaine économique, non pas qu’il ne puisse avoir un rôle essentiel. Je pense cependant que l’Etat doit intervenir lorsque les montants en jeu sont hors de portée d’investisseurs privés, ou que le développement de nouveaux produits mettrait en cause la survie de l’entreprise (en d’autres termes qu’elle ne puisse pas supporter un éventuel échec) c’est dans ce cadre que nous avons dû développer, et avec succès, l’aéronautique française.

Le tunnel sous la Manche aurait dû typiquement être financé par des financements publics au moins partiels. Il était certain que les risques étaient importants, il était également certain que ce tunnel allait modifier pour plus de cent ans les relations économiques franco-britanniques et que la rentabilité devait pouvoir se calculer non pas un horizon industriel de dix ou vingt ans, mais sur un horizon de cent ans. Paradoxalement et sous l’influence de Mme Thatcher, ce fut le seul grand investissement qui aurait justifié un investissement public et qui a été financé par le secteur privé.

Il est impossible pour les pouvoirs publics de définir a priori les besoins d’une société complexe. Le premier plan avait défini les besoins essentiels pour la reconstruction de la France. Mais dès le sixième et plus encore pour le septième plan, nous avons été obligés d’abandonner la notion d’une planification autoritaire au profit d’une planification incitative. Je pense qu’aujourd’hui il faut redonner une liberté économique beaucoup plus grande. Tant que l’Etat et les collectivités publiques s’engageront dans des activités à rentabilité nulle voire négative, l’ensemble du secteur économique privé ne pourra avoir aucun dynamisme.

Obligé de prendre en charge la rentabilité de ses propres investissements, il devra en plus supporter les rentabilités de plus en plus négatives des activités du secteur public.


Hussein Askary: La beauté de la Renaissance islamique, l’horloge éléphant

Lorsqu’on prononce le mot « islamique » de nos jours, cela évoque, par association, des images de terrorisme, d’extrémisme et de fondamentalisme. Ces associations ont aujourd’hui une certaine base dans la réalité, mais cette réalité est presque entièrement une construction d’institutions politiques, stratégique et du renseignement cherchant à maintenir le monde divisé et soumis…


Christine Bierre : Le pont terrestre eurasiatique de Leibniz

Christine Bierre

Journaliste, Paris.


Mesdames, Messieurs,

Cette session de la conférence est consacrée aux grands projets d’infrastructures qui sont au cœur même de la stratégie des BRICS, et dans ce contexte, je vais vous parler du grand dessein de développement eurasiatique proposé par le philosophe, scientifique et politique allemand Leibniz au XVIIe siècle, qui reste un modèle magnifique pour ce type de projet.

Avant d’en venir là, quelques remarques sur la question des grands projets d’infrastructures. Ceux-ci constituent, sans aucun doute, le socle du développement industriel d’une nation. Pas de progrès possible sans infrastructures modernes de transports, d’énergie, d’aménagement d’eau.

Mais il serait faux de regarder ces projets en soi, au risque de tomber dans les travers des économistes keynésiens, pour qui ce qui compte c’est de générer de l’activité économique quelle qu’elle soit, même si elle ne consiste qu’à creuser des trous et les reboucher.

Ce qui est très important dans la stratégie des BRICS, est que ces infrastructures, et les poulies, grues, excavatrices et autres machines qui permettent de les construire, ne sont que l’expression concrète du génie créateur de l’homme dans sa volonté de faire face aux énormes défis de la nature pour transformer la société humaine.

Avant ces objets, il y a donc une conception de l’homme en tant que créateur, à l’opposé de l’homme prédateur qui prédomine aujourd’hui du fait du néo-libéralisme sauvage qui a été répandu à travers la planète, par les centres financiers occidentaux que sont la City de Londres et Wall Street.

Cette stratégie des BRICS est tirée aussi par une vision plus noble de la civilisation humaine, par la volonté de bâtir un monde westphalien où toutes les nations, quelles que soient leur taille ou leur richesse, auront droit à leur entière croissance. Un monde où toutes les nations seront souveraines et libres de nouer des partenariats avec les pays de leur choix, sans se soumettre à tel ou tel bloc idéologique, sans devenir les vassales de tel ou tel empire. M. Kadyshev a réaffirmé ce principe ce matin ; le président chinois Xi Jinping négocie tous les jours des accords gagnants/gagnants avec des Etats, petits ou grands.

Cette vision du monde a malheureusement disparu de la zone transatlantique, remplacée par celle d’un homme prédateur et par le retour des Empires. Les vautours sont légion : dans la finance, dans les gouvernements où ils dépouillent les biens publics et les plus faibles, dans la guerre où ils se lâchent sauvagement, comme au Moyen-Orient.

La France a eu la chance d’avoir un Charles de Gaulle qui a représenté cet esprit des BRICS en son temps, avant de sombrer aujourd’hui dans des alliances sordides, faisant, pour quelques dollars, le grand écart entre un Empire américain décadent, les pétromonarchies les plus arriérées, sans oublier toutefois les BRICS, car ils pourraient, qui sait, l’emporter !

Songeons plutôt à ce 30 janvier 1964, où Charles de Gaulle, président d’une France redevenue souveraine, rompait avec le bloc anglo-américain, annonçant le rétablissement des relations diplomatiques avec une autre nation souveraine, la Chine. Car, bien que n’approuvant pas le régime de la Chine d’alors, il pariait, comme il le disait, sur le fait que « dans l’immense évolution du monde, en multipliant les rapports entre les peuples, on serve la cause des hommes, c’est-à-dire celle de la sagesse, du progrès et de la paix. (…) et qu’ainsi les âmes, où qu’elles soient sur la terre, se rencontrent un peu moins tard au rendez-vous que la France donna à l’univers, voici 175 ans, celui de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ». Dans la foulée, la France sortait aussi de l’OTAN en 1966 et nouait des relations avec l’Union soviétique.

Et c’est parce que je crois profondément que la France peut encore retrouver sa souveraineté millénaire et rompre avec un bloc occidental que la crise financière et la volonté d’empire pousse à la guerre mondiale contre la Russie et la Chine, et que d’autres pays européens peuvent aussi y trouver l’inspiration pour faire de même, que je vais vous parler aujourd’hui de cet immense projet eurasiatique proposé par Leibniz au XVIIe siècle.

C’est aussi parce que ce projet fixe la barre très haut, et que pour réussir l’avènement de ce nouveau monde que les BRICS veulent porter, il faudra nourrir le courage et l’intelligence de ceux qui se vouent à combattre constamment pour ce bel idéal.

Le grand dessein eurasiatique de Leibniz

C’est pour changer la donne dans une Europe ravagée par les guerres et en proie aux démons du fanatisme religieux, que Leibniz, contemporain et collaborateur de Colbert, se bat pour créer les conditions de la paix par le développement sur tout le continent eurasiatique.

Son grand dessein ? Nouer une alliance entre l’Europe et la Chine, qui étaient à l’époque les nations les plus avancées, faisant progresser la Russie qui se trouve entre les deux, grâce aux échanges culturels et économiques accrus. Les rapports entre ces nations ne sont plus les mêmes aujourd’hui, mais les principes demeurent.

C’est ce dessein que Leibniz présente poétiquement dans la préface de son ouvrage Novissima Sinica — Nouvelles de Chine – en disant qu’une « disposition particulière de la providence (…) a fait que la plus haute culture et ornement du genre humain se sont aujourd’hui concentrés aux deux extrémités de notre continent, l’Europe et la Tschine. (…) Peut-être la providence suprême, en faisant se tendre la main aux nations les plus avancées, mais les plus éloignées, cherche-t-elle à élever tout ce qui se trouve entre elles, [la Russie] à une meilleure règle de vie. » Et Leibniz de souligner que le Tsar Pierre Le Grand de Russie est favorable à ce projet soutenu même par le Patriarche orthodoxe.

Chance inouïe pour Leibniz : et le Tsar Pierre le Grand et l’Empereur de Chine Kangxi s’ouvrent alors à l’Europe et montrent tous deux « un grand zèle pour porter, dans leur pays, la connaissance des sciences et des mœurs de l’Europe ».

Ayant beaucoup travaillé pour nouer une relation privilégiée avec ces deux chefs d’Etat, Leibniz tentera, en conseiller des princes, de changer le cours de l’histoire. Il rencontra Pierre Le Grand trois fois, en 1711, 1712 et 1716, et devient son conseiller. Le Tsar lui avait demandé son aide « pour sortir son peuple de la barbarie ». Quant à Kangxi, la relation ne fut pas directe, mais se fit par l’intermédiaire des jésuites missionnaires qui labouraient la Chine depuis un siècle et qui avaient réussi, grâce à leur savoir scientifique, à avoir l’oreille des empereurs, en particulier de Kangxi, au pouvoir à cette époque. Leibniz était en correspondance avec ces pères, et il inspirera même la mission des cinq jésuites mathématiciens français qui partirent en Chine en 1685, pour travailler avec Kangxi.

Assurer le progrès en Russie

Tous les mémoires du dialogue passionnant entre Leibniz et Pierre Le Grand sont facilement accessibles aujourd’hui grâce aux œuvres de Leibniz rassemblées par Fouchier de Careil.

Au cœur de ses propositions, « attirer … tous les hommes actifs et capables de toutes les professions » ; instruire ses sujets et notamment les plus jeunes ; leur apprendre à « créer » en leur faisant redécouvrir les grandes percées du passé ; traduire en russe les descriptions des sciences et des arts ; ouvrir partout des écoles et créer des Académies des sciences et des arts dans les principales villes, à Moscou, Saint-Pétersbourg, Kiev et Astrakhan.

Fonder partout des bibliothèques, des observatoires, des laboratoires pour y faire des machines. Un siècle avant les Britanniques, Leibniz, qui collaborait aux efforts de l’Académie des Sciences de Paris pour développer les machines à vapeur et à combustion, conseillait aux Russes de créer un laboratoire où les bons chimistes et artificiers étudieraient les applications du feu pour le travail dans les mines, les métaux, les fonderies, les verreries et l’artillerie. Tel Prométhée, il disait : « Le feu doit être regardé comme la clef la plus puissante des corps. »

Pour ce qui est des infrastructures, il conseillait de réfléchir à l’usage qu’on pourrait faire des rivières et à l’aménagement de l’intérieur, de songer à la Volga (qu’on pourrait relier par un canal au Don) et d’améliorer la navigation principalement sur le Dniepr et l’Irtis. Faire des canaux aussi pour le transport des denrées et pour assécher les marais.

Un « commerce des lumières » avec la Chine

Le travail de Leibniz en Chine est aussi un bel exemple de coopération entre les nations, respectueuse de leurs meilleures traditions, dont les apprentis sorciers occidentaux en Révolutions de couleur devraient s’inspirer.

Dans ses Novissima Sinica, il compare les mérites relatifs des cultures chinoise et européenne qu’il met pratiquement à égalité : « L’Empire chinois (…) ne le cède pas en étendue à l’Europe cultivée, et même la surpasse en population. » Pour Leibniz, l’Europe l’emporte au niveau des connaissances des formes qui séparent l’esprit de la matière, comme la métaphysique et la géométrie. Les jésuites se sont employés à résoudre ces lacunes en enseignant la géométrie, l’astronomie et la mécanique (voir la voiture à vapeur inventée par le père Verbiest, tuteur de Kangxi) et en contribuant aux grands travaux d’ingénierie.

Là où Leibniz est ébloui par les Chinois est au niveau de leur sagesse quotidienne. « Si nous sommes égaux dans les techniques, si nous les avons vaincus dans les sciences contemplatives, il est certain que nous le fûmes dans la philosophie pratique (cela fait presque honte de l’avouer), j’entends les règles de l’éthique et de la politique appropriées à la vie et à l’usage des mortels. On ne saurait dire en effet le bel ordre, supérieur aux lois des autres nations, qui règle chez les Chinois toutes choses en vue de la tranquillité publique et des relations des hommes entre eux. »

A l’origine de cette culture de sagesse et d’harmonie entre vie quotidienne, vie politique et cosmos, l’héritage de Confucius (Ve siècle av. JC.), enrichi d’autres traditions philosophiques. Songeons qu’au XIe siècle, la Chine connaissait déjà la perspective et que le grand historien de la peinture Guo Ruoxu écrivait en 1074 : « Si la valeur spirituelle d’une personne est élevée, il s’ensuit que la résonance intérieure est nécessairement élevée, alors sa peinture est forcément pleine de vie et de mouvement (shendong). On peut dire que, dans les hauteurs les plus élevées du spirituel, il peut rivaliser avec la quintessence. »

Contre la plupart des ordres religieux et les vicaires du Pape qui voulaient christianiser de force les Chinois et qui ont fini par faire capoter ce projet, Leibniz soutient l’effort œcuménique des jésuites, et suite à une étude approfondie du confucianisme, conclut qu’un dialogue d’égal à égal peut s’établir entre la théologie naturelle de Confucius et la métaphysique chrétienne, sinon avec la religion révélée.

La mission des jésuites mathématiciens français

Enfin, pour rappeler encore et encore à ceux qui nous gouvernent les meilleures traditions de notre politique étrangère, revenons à la mission de cinq jésuites mathématiciens français en Chine en 1688, qui contribua à fonder, il y a plus de 300 ans, notre partenariat avec ce pays.

Ces jésuites furent les émissaires du groupe de travail constitué par Colbert à l’Académie des sciences, autour du directeur de l’Observatoire de Paris, Jean-Dominique Cassini. But de ce groupe, utiliser l’astronomie pour améliorer les cartes géographiques et résoudre le grand problème scientifique de l’époque des longitudes pour la navigation en mer.

Ces recherches exigeaient l’envoi de chercheurs aux quatre coins de la planète pour recueillir un maximum des données. La mission des jésuites en Chine était la suite des voyages des académiciens Jean Picard à Uraniborg au Danemark, de Jean Riché à Cayenne, de Varin à l’ile de Gorée et aux Antilles, pour les mêmes objectifs.

Leibniz et Colbert montèrent la mission autour de cette question qui intéressait Leibniz au plus au haut point. Dans ses correspondances sur la Russie, il décrit ce projet en détail et en fait l’une de ses trois priorités, appelant à étendre les expériences à la Russie, notamment près du Pôle nord. La direction de l’équipe de jésuites fut confiée au père Fontaney, déjà en collaboration avec Cassini et avec d’autres membres éminents de l’Académie, tels le savant danois Ole Römer et Christian Huyghens, qui présidait l’Académie.

Lorsqu’il embarquèrent pour la Chine en 1685, les jésuites emportaient dans leurs bagages les tables des satellites de Jupiter établies par Cassini et une trentaine d’instruments parmi les plus sophistiqués de l’époque, dont deux machines d’Ole Römer : un planétarium mécanique, qui grâce à des ressorts pouvait reproduire, à une heure donnée, tous les mouvements des planètes et des astres ; et un eclipsorium permettant de connaître les année, mois ou quantième du mois où les éclipses de soleil et de lune se produisaient.

En guise de conclusion… Si Leibniz désespérait à son époque de l’Europe, au point d’avoir souhaité qu’une délégation chinoise vienne ici pour changer la donne, que ne dirait-il pas de la situation actuelle, où, face à une Chine qui a connu des progrès fulgurants et à une Russie retrouvant sa puissance mondiale, l’Europe fait figure d’homme malade ?

Je pense que l’émergence de la Nouvelle route de la soie, des BRICS et de l’Union eurasiatique peuvent provoquer un sursaut en France et en Europe. Face à l’abîme, face au danger de guerre, la France doit redonner un coup de neuf à son rêve de liberté et utiliser cette nouvelle donne comme levier pour refaire de l’Europe une alliance de républiques souveraines orientée vers le progrès des sciences, des arts et des peuples.

Cela dépendra de notre action après cette conférence !


Acheikh Ibn-Oumar – Le lac Tchad, un grand projet pour les BRICS

Acheikh Ibn-Oumar

Ancien ministre des Affaires étrangères du Tchad, Reims.


Bonne après-midi à tous.

Ma présentation sera en français, car je suis francophone. J’ai préparé ma présentation en français, tout en reconnaissant que la langue de travail est ici l’anglais. Je voulais donc vous saluer en anglais et salam aleykoum à nos collègues. Merci.

Je vais aborder un sujet que j’ai déjà abordé à une conférence précédente. Je suis heureux de parler après Mr Askary qui a fait mention de ce projet dans sa présentation en parlant de l’Afrique, c’est celui du lac Tchad. Le lac Tchad qui a donné son nom au pays le Tchad, mais qui n’est pas un lac tchadien mais un lac africain parce qu’il concerne beaucoup de pays.

L’institut Schiller avait organisé en février dernier une conférence sur le thème « Avec les BRICS, pour un système gagnant-gagnant ». A cette occasion j’avais fait un exposé sur le projet de remise en eau du lac Tchad à partir du bassin du fleuve Congo. Donc je ne souhaite pas revenir sur la description détaillée de ce projet. Mais aujourd’hui je vais juste faire un bref rappel et surtout je voudrais aborder les enjeux qui sont liés à certaines controverses qui entourent ce projet. Ces controverses sont souvent inhérentes à tous les grands programmes d’infrastructures. Et pour finir je voudrais faire le lien entre ce projet et le thème de notre conférence à savoir « Reconstruire le monde à l’ère des BRICS ».

Donc voici la brève présentation du projet. Sur l’angle en haut, l’angle droit, c’est la carte de l’Afrique, le petit point bleu au milieu c’est le lac Tchad, la ligne bleue qui aboutit, qui part vers le Congo, c’est le projet de dérivation des eaux du bassin du fleuve Congo vers le lac Tchad et la zone en jaune, c’est en gros, tous les pays affectés par le projet, à peu près le quart de la superficie de l’Afrique. Le lac Tchad a été dans le passé l’un des plus grands au monde. Son bassin géographique est de plus de 2 millions de kilomètres carré et son bassin actif de plus de 900 000 kilomètres carré. Il constitue encore une source importante pour la pêche évidemment mais aussi pour l’agriculture et l’élevage, pour une population directement liée à ces activités d’à peu près 30 millions d’habitants sur six ou sept pays. Les pays directement riverains du lac Tchad, sont le Tchad évidemment mais aussi le Nigéria, le Cameroun et le Niger. Il faut ajouter à cela, les pays du bassin de drainage, le Soudan et la République centrafricaine, et le bassin géographique qui s’étend jusqu’en Lybie et l’Algérie qui sont concernés.

Il y a un organisme qui gère les eaux du lac Tchad qui s’appelle la Commission du Bassin du Lac Tchad, CBLT. La grande particularité du lac Tchad c’est qu’il est situé à la limite du désert, donc à la frontière de la zone sahélo-saharienne qui est très importante. Une région pour laquelle le problème de l’eau est très crucial. Le grand problème c’est que le lac est en voie de disparition. En 1963, sa superficie était de 26000 kilomètres carré et actuellement elle est à moins de 2000. C’est à dire qu’elle a été divisée par 13 à peu près, et la tendance n’a pas l’air de s’arrêter. Donc il y a un risque réel de disparition du lac Tchad. Au début des années 80 un ingénieur italien, Mr Marcello Vichi a lancé l’idée pour résoudre le problème de la disparition possible du lac Tchad, de le recharger en eau en faisant une déviation d’une partie des eaux du bassin du Congo à travers un canal. Ce n’est pas un projet absurde parce que la distance entre le lac Tchad et le bassin de fleuve Congo est longue, mais les bassins du lac Tchad et du fleuve Congo sont très voisins dans la zone de séparation des eaux. Donc il suffit en quelques sortes de faire un raccord entre les 2 bassins et non pas de faire un canal depuis le Congo jusqu’au Tchad évidemment.

Le projet a eu pour nom Transaqua, « Trans » pour transport et « aqua » l’eau, en latin, italien. Et depuis les années 80, son financement n’a pas beaucoup bougé parce que les financements sont hors de portée des pays concernés et jusqu’en 2009 les efforts pour la recherche de financement ne concernaient pas la réalisation du projet mais le financement de l’étude de pré-faisabilité du projet. C’est pour vous dire la longueur du chemin. Alors, c’est pour cela, qu’à la conférence de février abritée par l’institut Schiller, j’avais proposé que ce projet qui est impossible à financer par les moyens classiques actuels, soit en quelque sorte adopté, parrainé par les BRICS. J’avais développé ça à l’époque donc je n’y reviens pas.

Alors aujourd’hui, je vais parler un peu comme je l’avais dit, des objections et des enjeux qui entourent ce projet. Il y a beaucoup d’objections qui sont faîtes pour ce genre de projet.

La première objection, est l’objection scientifique : il y a des spécialistes qui doutent de la réalité de l’assèchement du lac Tchad malgré la réalité visible et qui pensent que c’est un phénomène cyclique, l’on a déjà vu par le passé le lac Tchad diminuer et presque disparaître et revenir de façon naturelle. Pour d’autres, c’est l’explication de l’activité humaine et le réchauffement climatique. D’autres scientifiques doutent du lien à faire entre le dessèchement du lac Tchad et ce réchauffement climatique. Et c’est vrai qu’il y a des périodes cycliques de rétrécissement et d’expansion. A l’ère quaternaire, la superficie du lac Tchad était de 360 000 kilomètres carré, à peu près égale à celle de l’Allemagne actuelle, mais c’était il y a 6000 ans et évidemment les temps géologiques sont très longs et peut être dans 6000 ans on aura un grand lac Tchad, mais dans l’immédiat le problème se pose.

Il y a une deuxième objection, c’est l’objection environnementale, il y a un côté idéologique, il ne faut pas le cacher parce que des gens pensent que les grands projets surdimensionnés sont par essence mauvais et c’est vrai qu’il y a une part de réalité parce que l’augmentation brutale de l’eau du lac Tchad et de ses tributaires, va poser des problèmes pour les riverains, des problèmes d’inondation, des problèmes de remise en cause de l’équilibre de l’écosystème et tout ça, sans compter même les problèmes politiques, celui du droit foncier.

La troisième objection, est l’objection économique : le projet coûterait très cher et ne serait pas rentable. On l’a soulève pour la plupart de ces grands projets aussi. Ce qui est curieux c’est que l’objection a été faite au moment, au début où l’on ne savait pas combien cela coûte. Donc les gens ne savent pas combien cela coûte et l’on sait que ce sera trop cher de toute façon. Parce que évidemment on a eu dans les années 70 en Afrique ce qu’on appelait les éléphants blancs, de grandes réalisations industrielles de pur prestige qui ne sont pas rentables et les gens pensent qu’il ne faut pas refaire les mêmes bêtises en faisant cette fois-ci des éléphants, non pas blancs, mais des éléphants verts en quelque sorte.

Alors la dernière objection c’est celle de la gouvernance, qui est un peu sérieuse, à savoir est-ce que les états ont la capacité de gérer des projets aussi gigantesques. Toutes ces objections nous parlent de vérités, mais qui ne doivent pas être des obstacles, qui peuvent être réglés par des mesures et par des méthodes, de la faiblesse des capacités de gestion des nos états et de nos capacités de financement.

Enfin ce que je voulais dire, le système de l’aide qui prévaut jusque là, l’aide au développement, ne peut pas financer ce genre de projet, puisque cela n’est pas fait pour ça. Et la crise qui a été décrite par plusieurs orateurs, dans les pays donateurs, on voit mal comment débourser cela. Et le professeur Vichi avait remarqué que les conflits en Afrique avaient coûté a peu près 20 milliards de dollar par an, alors que ce projet nécessite à peu près 2 milliards par an pour sa réalisation. Donc il y a des économies à faire et je pense qu’il faut, en restant dans la philosophie de cette conférence et des BRICS, à savoir qu’il ne s’agit pas d’aider les gens, mais qu’il faut reconstruire le monde. On peut trouver une légitimité politique d’abord, puis économique et surtout humaine pour ce projet.

Merci.


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