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Jacques Cheminade : La politique économique sous-jacente au projet “Une ceinture, une Route”

Jacques Cheminade

économiste et homme politique

Bonsoir,

C’est en 1964, après que la France ait reconnu le 27 janvier la République Populaire de Chine et établi avec elle des relations diplomatiques, que le Général de Gaulle déclara « il n’est pas exclu que la Chine redevienne au siècle prochain ce qu’elle fut pendant des siècles, la plus grande puissance de l’Univers ». Pas parce qu’il appréciait Mao Zedong, mais parce qu’elle voyait loin.

Aujourd’hui en notre XXIe siècle, le produit national de la Chine la situe au rang de première économie mondiale, une fois ajustées les parités de pouvoir d’achat. La Chine a entrepris avec son projet d’« une ceinture une route », un effort financier et humain plusieurs fois supérieur à celui du plan Marshall. La parole prophétique de Charles de Gaulle ne s’est pas encore complètement réalisée. Mais comme l’a dit Xi Jinping dans le discours qu’il vient de prononcer au XIXe congrès du Parti communiste de Chine, la voie se trouve tracée vers 2020, puis 2035, et enfin 2049, qui sera le centième anniversaire de la victoire de 1949.

L’explication de cette mutation en cours – qui est déjà sans précédent dans l’histoire, tant en durée que par le nombre d’êtres humains concernés – tient en deux éléments fondamentaux qui définissent l’enjeu de notre temps. Tout d’abord la Chine n’a pas fait comme nous autres ; comme nous avons fait en tout cas depuis 1971. L’adoption par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon et toute l’Europe du système britannique d’économie politique a entraîné des conséquences désastreuses. Il s’agit de la soumission à une conception monétariste de l’économie, définie par un profit monétaire, le critère étant d’acheter bon marché pour revendre plus cher et d’acquérir des biens rares que les autres ne possèdent pas. La somme des profits réalisés, les plus values, constituent ainsi le Produit national brut, somme des valeurs exprimées en monnaies de toutes les opérations d’achats et de vente. A l’extrême nous avons vu les services comptables de l’Union européenne demander aux pays membres de prendre en compte, pour établir les statistiques, les revenus de la drogue et de tous les trafics rentables.

Dans ce système, le crédit dévoyé est un instrument pour maintenir le circuit d’endettement financier à court et à moyen terme, au mieux pour entretenir la consommation, au pire pour gonfler les bulles du jeu financier. Les institutions financières de crédit dans ce but ont pris de fait le contrôle des États et l’on voit à l’Eurogroup, les représentants du FMI, de la BCE et de la Commission européenne parler en premier, les ministres ou les chefs d’Etat des différents pays se trouvant réduits au rôle des beni-oui-oui dans le corset de leurs dossiers. Aux États-Unis, un seul fait : hormis les dépenses militaires, ou associées à ce secteur, il n’y a pas eu d’investissement majeur depuis 50 ans.

A l’opposé de cette conception suicidaire, car sacrifiant toujours le long terme, la Chine a choisi une politique de crédit en faveur des infrastructures, des investissements à long terme et à faible taux d’intérêt. Certes, elle a cumulé 20 000 milliards de dollars de dette en dix ans, mais avec 10 000 milliards investis dans les infrastructures. Si nous prenons comme référence le facteur de productivité totale, un indice mesurant l’impact des avancées technologiques sur la productivité physique du travail, ce facteur était de 3 ou 3,5 % dans l’Amérique de Roosevelt, du même ordre de grandeur à partir de 1950 en France, en Allemagne et en Europe, et de 3,11% en Chine entre 1999 et 2011 selon les statistiques du National bureau of economics américain.

Depuis 1980, ce facteur dans nos pays occidentaux s’est lui considérablement affaissé et se rapproche inéluctablement de zéro, comme aux Etats-Unis. Paradoxalement, c’est la Chine qui a adopté la conception économique du crédit productif public et d’investissement dans les infrastructures qui a été celle d’Alexandre Hamilton aux États-Unis et de Mathew et Henry Carey, le système américain de Henry Clay, conception qui est également celle de Friedrich List. C’est l’école de l’économie nationale, très connue et appréciée en Chine, et celle de la planification indicative, la nôtre, française. La chine a adopté cette politique alors que nous autres, nous l’abandonnions.

Le secret du développement sans précédent de la Chine se trouve donc d’une part dans les qualités propres du peuple chinois, ce qui a été dit, dans son expérience industrielle passée, sous les Tang, sous les Song, dans les qualités confucéennes reprises aujourd’hui, mais aussi d’autre part et en même temps, dans l’adoption des principes qui ont permis le développement de nos propres économies quand celles-ci se développaient encore réellement.

De manière succincte, quels sont ces principes ? D’abord partir du fait que la création humaine est la source et la mesure de l’économie réelle et non le profit financier exprimé en monnaie. L’économie consiste à créer les conditions les plus favorables au développement des capacités créatrices des individus humains tant à l’échelle d’un pays que dans l’ensemble des pays d’ailleurs. « Détente, entente, et coopération » [selon l’expression de de Gaulle, ndlr] et développement mutuel. Sans injonction, mais par l’inspiration, comme il a été dit au début de cet après-midi, en créant un environnement favorable toujours à la création.

Deuxièmement, concrètement, cela signifie empêcher les dérives monétaires et arrêter la priorité financière. C’est ce que Roosevelt a appliqué sous le nom de la loi Glass Steagall de séparation bancaire aux États-Unis et c’était chez nous à la fin du XIXe siècle déjà la conception d’Henri Germain. Cela revient à bloquer l’expansion de ce que Marx dans son chapitre XXV, livre IIIe du Capital appelle le capital fictif, nom qu’avec moi avait repris Michel Rocard, un capital qui ne correspond a aucun développement de l’économie physique, ni a la qualification du travail humain.

La Chine a un système qui revient a peu près au Glass Steagall, avec le même impact : des banques commerciales et non de marché, sous tutelle publique et, certes, des non banques qui correspondent à nos fonds spéculatifs, mais que là-bas, tout le système contrôle ou est en mesure de contrôler. D’où le fait qu’en Chine les deux tiers des crédits alloués au secteur non financier – appelés le corporate aux États-Unis – soit concentrés sur 22 grandes entreprises, elles-mêmes concentrées sur les infrastructures et l’énergie.

Troisièmement, ayant ainsi empêché la dérive financière, reste le choix à faire des projets d’investissement et à assurer la compétence de ceux qui les dirigent. Les critères établis par Friedrich List, par Henry et Mathew Carey, puis le conseiller de Sergei Witte en Russie, puis encore, par nos planificateurs de l’après guerre, constituent le pari sur l’avenir, le pari chez nous de notre planification indicative de l’après guerre, et de la KFW en Allemagne. Les critères de ce pari, ce sont l’investissement capitalistique, l’intensité des investissements capitalistiques c’est-à-dire du capital physique, en gros les machines, et humain, orientés vers une maximisation de la production et le principe de moindre action. C’est à dire une maximisation de l’énergie libre produite, par rapport à l’énergie apportée au système.

La hausse ensuite de la densité de flux d’énergie et des technologies. Une production en augmentation constante par être humain, par unité de surface et aussi par unité de matière apportée au système dans une optique d’investissement à long terme, comme l’appellent les Chinois, le « capital patient ».

Enfin, la qualification du travail humain, une formation de niveau toujours plus elevé pour pouvoir organiser le système.

Ces trois orientations fondamentales ne peuvent concrètement s’exprimer qu’à deux conditions. La première est leur inter-connectivité, entre investissements dans les infrastructures, dans l’énergie, dans les transports et dans les services qui leur sont associés et dans l’école, l’hôpital, le laboratoire, avec un principe transformateur qui est le dénominateur commun à la clé de tout.

La seconde, plus importante, est la qualification du travail. L’investissement doit aller vers les découvertes fondamentales, leurs applications technologiques et les innovations de ces applications. La Chine est ainsi monté d’innovations en applications technologiques et en est au stade aujourd’hui des découvertes fondamentales. Il s’agit d’un tout dynamique, la formation du travail depuis l’école et tout au long de la vie, et les grands projets dans l’espace, le nucléaire, les secteurs de pointe qui sont propulseurs d’un environnement de recherche et de hausse de la densité technologique apportée. Le critère qui doit présider au choix : là où la création humaine s’exprime, c’est là qu’il faut investir.

Disons ici qu’il ne s’agit pas de créer des « homo deus », maîtrisant les NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), qui sont essentielles si elles sont associées à la transformation de l’économie physique dans un système d’enseignement ouvert, mais qui peuvent devenir, et cela arrive devant nos yeux aujourd’hui, désastreuses si elles demeurent des choses en soi. En clair, en elles-mêmes, les technologies de l’information n’ont entraîné aucune hausse de la productivité réelle.

Robert Gordon, dans The rise and fall of American growth (L’ascension et la chute de la croissance américain) l’a bien démontré. Cela veut dire plus clairement encore que pour aller dans l’espace, il faut à la fois la propulsion par les technologies de pointe, la fusion thermonucléaire contrôlée, et les apports de la robotique et du numérique pour gérer et conduire, avec l’intelligence artificielle, ce qui va au-delà de la simple perception humaine. C’est cette combinaison qui permet d’aller vers le futur.

Lyndon LaRouche est allé plus loin que la prise en compte de ces principes. En établissant un critère d’ensemble, disons, qui fonde cette dynamique globale. Ce qu’il a appelé le « Potentiel de densité démographique relatif » de la société. « Relatif », cela signifie, l’accroissement de la capacité d’accueil rendu possible par l’introduction constante de nouvelles découvertes fondamentales s’exprimant sous forme de technologies nouvelles, appliquant les découvertes de ces nouveaux principes physiques. Ce critère déterminant, le scientifique russe et expert de l’économie spatial qu’était Pobis Kouznetsov l’a baptisé le L, L pour LaRouche et beaucoup d’universités russes en parlent alors que l’ignorance en Occident est totale vis-à-vis de cet apport.

Aujourd’hui cette perspective s’exprime par ce que nos amis américains appellent les 4 principes de Lyndon LaRouche. La séparation bancaire, le Glass Steagall, pour tarir Wall Street et ses spéculations, une politique de crédit public productif pour relancer l’économie par le développement réel, une vraie banque nationale, et non une banque centrale soumise aux forces financières comme l’est la Réserve Fédérale ou la Banque centrale européenne, et l’investissement dans les densités de flux les plus élevées – c’est dans l’énergie ce qui est aujourd’hui la fusion thermonucléaire contrôlée et qui sera peut être demain la matière antimatière. Le tout pour assurer une reprise d’ensemble de l’économie américaine dans le contexte d’une coopération ainsi rendue possible entre une dynamique américaine, une dynamique chinoise, une dynamique des BRICs et notamment celle de la Russie, et une dynamique européenne ; une dynamique fondée sur l’avantage pour soi, mais également pour autrui, chacun y trouvant son avantage ; détente, entente et coopération et développement mutuel, une symbiose qui constitue le socle porteur du développement mutuel.

Reprenons les termes chinois tels que Xi Jinping les a exprimés avec ses conseillers économiques : un système gagnant-gagnant fondé sur l’avantage mutuel, un investissement dans les infrastructures et les technologies les plus avancées, le capital patient, c’est à dire à long terme, dans une société par principe innovatrice et enfin un système interconnecté inclusif dans chaque élément de cette dynamique. Alors vous voyez combien c’est proche de ce que je viens de vous dire par ailleurs.

Disons-le brutalement enfin. Il ne s’agit pas aujourd’hui de mondialisation ou de dé-mondialisation. Il s’agit de reconnaître que depuis 25 ans, depuis la chute du mur, les relations internationales ont été gâchées et qu’elles nous conduisent aujourd’hui au chaos financier et à la guerre de tous contre tous. Que cela nous conduira aux conflits armées si nous ne changeons pas de direction.

La Chine et les BRICS nous offrent une occasion de changement, un changement de paradigme comme l’a appelé Mme Zepp-LaRouche, dont j’ai tenté ici de poser les principes sous-jacents. C’est en fait nous retrouver nous-mêmes, notre meilleure part historique. C’est une question de volonté, ce que les américains appellent le leadership, face a une occasion à saisir et aussi de courage, pour affronter la dictature financière, ce qu’on appelle à tort, le libéralisme.

Il s’agit d’un projet multi-générationnel ayant pour objectif, comme le dit Xi Jinping, de faire le bonheur du peuple chinois, son peuple, et du même élan d’assurer celui des autres peuples. Les médias et les dirigeants occidentaux ne veulent et ne peuvent pas pour l’instant le croire car ils sont eux mêmes déterminés par le système géo-politique monétariste britannique au sein duquel le gagnant rafle tout, comme à une table de jeux, et le bonheur des uns ne peut se faire qu’au détriment des autres.

Pour nous, au contraire, le bien commun et l’intérêt général existent, comme c’est exprimé dans notre propre constitution, et dans le préambule de la Constitution américaine, c’est cette recherche du bonheur dont parle Xi Jinping. Pour bien comprendre de quoi il s’agit, comparons simplement aujourd’hui l’optimisme du peuple chinois, et en particulier des jeunes chinois, malgré tout ce qu’il y a d’imparfait en Chine et il y a beaucoup de choses imparfaites, et comparons le à notre propre pessimisme. Je crois que beaucoup de choses sont dites simplement, en faisant cette comparaison. Le défi pour nous, c’est de dire « redevenons optimistes » en voyant et pensant avec les yeux du futur, en ce moment décisif où l’enjeu est entre la dictature financière prédatrice et le développement mutuel, ou bien une culture de la vie et de la découverte, ou bien une géopolitique destructrice, ou bien la paix par le développement mutuel ou bien la guerre de tous contre tous. C’est le dénouement de cet affrontement qui est l’enjeu sous-jacent, et qui est mon sujet. D’une part de la Nouvelle route de la soie chinoise, inclusive, et qui peut et doit devenir un Pont terrestre mondial car c’est un système anti-guerre, et d’autre part notre route occidentale qui depuis plus de trois décennies est une voie hélas sans issue autre que la destruction mutuelle assurée, faute de plateforme économique, de pont conduisant vers le futur.

Parions donc sur la paix et je crois que ce sera notre engagement d’aujourd’hui.

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