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Helga Zepp-LaRouche: L’avenir de l’homme sera merveilleux, pourvu qu’on lui évite le destin des dinosaures

Helga Zepp-LaRouche

présidente internationale de l’Institut Schiller


 

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Un avenir radieux attend l’humanité, pourvu qu’on lui évite le destin des dinosaures

Mesdames et Messieurs, chers invités, chers amis de l’Institut Schiller. Si nous sommes rassemblés ici, c’est parce que chacun d’entre nous est pleinement conscient que nous nous trouvons face à une crise systémique sans précédent, une crise de civilisation. Nous sommes confrontés, simultanément, au danger d’une nouvelle guerre, éventuellement une troisième guerre mondiale, en raison de l’attitude extrêmement agressive de l’OTAN à l’égard de la Russie ; au danger d’un affrontement entre les États-Unis et la Chine, dans la mer de Chine méridionale ; au danger d’une nouvelle crise financière similaire à celle de 2008, susceptible de faire éclater le système financier mondial ; et enfin, nous avons assisté, il y a deux jours, au Brexit, les Britanniques ayant voté pour une sortie de l’UE. Comme nous le savons tous, il ne s’agit pas là d’un vote contre l’Europe en tant que telle, mais d’un vote contre un système totalement injuste et une élite entièrement corrompue.

L’objectif de cette conférence est de trouver des solutions à ces crises, de discuter de ce qui pourrait constituer un nouveau paradigme et de voir, plus globalement, si l’humanité est en mesure de résoudre cette crise existentielle.

Nous avons réuni des orateurs de plusieurs continents, de nombreux pays, qui sont, personnellement ou au nom des institutions qu’ils représentent, clairement déterminés à faire en sorte que des solutions soient trouvées. Avant de décrire de manière plus détaillée les différentes crises auxquelles nous sommes confrontés, je voudrais insister sur le fait que la solution est évidente. Ne perdez donc pas votre sang-froid. Si l’humanité se rassemble pour agir courageusement autour d’un plan à la hauteur de la situation, toute crise mettant en danger notre civilisation pourra être surmontée, car telle est la nature humaine. Lorsque l’humanité est mise au défi, une force favorable se réveille en chacun d’entre nous.

Voyons la situation : la Grande-Bretagne a voté le 23 juin, à 52 % des voix, pour une sortie de l’Union européenne. Les marchés financiers ont immédiatement décroché et dès les premières heures, vendredi matin, 5000 milliards de dollars s’étaient volatilisés. Nous aurions pu assister à un vendredi noir. Les turbulences se poursuivent. Chez certains, c’est la stupéfaction : comment avons-nous pu nous tromper aussi lourdement ? Jusqu’à minuit les bookmakers nous affirmaient au contraire que tout irait pour le mieux. Comment avons-nous pu nous laisser surprendre de manière aussi intempestive ?

Je vais revenir là-dessus, mais j’aimerais d’abord ajouter que ce Brexit est peut-être une bénédiction, quoique l’on puisse avoir l’impression du contraire. Ce vote est avant tout un rejet de la bureaucratie supranationale, de la dictature sans âme de Bruxelles. C’est un vote contre le vol de la souveraineté nationale, contre une Commission européenne brutale, qui a complètement aliéné les peuples d’Europe, une Union européenne désunie et dépourvue de tout humanisme. Ce vote ouvre la voie à la construction d’une Europe entièrement nouvelle.

Je me souviens que lors d’une conférence de l’Institut Schiller organisée en 2003, le jour même où la guerre d’Irak avait été déclenchée, j’avais commencé mon discours en demandant : « Ces gens sont-ils complètement fous, ne savent-ils pas qu’en attaquant un pays en se fondant sur des mensonges, les Erinyes, ces déesses protectrices de la loi naturelle, finiront par réagir un jour en faisant appel à un principe de justice supérieur ? »

Et je trouve particulièrement ironique, si vous me le permettez, de voir le Royaume-Uni voter la sortie de l’Union européenne car, si vous vous souvenez bien, c’est cette guerre en Irak qui est à l’origine de la crise des réfugiés qui frappe aujourd’hui l’Europe. Et maintenant le peuple britannique vote en faveur de ce qui s’apparente à la destruction de l’Empire britannique, où la Grande-Bretagne pourrait se retrouver amputée de l’Écosse et de l’Irlande. Je crois en un principe de justice supérieur, et cela prouve, selon moi, que la déesse Némésis intervient réellement dans l’histoire.

Laissez-moi revenir au danger qui nous menace, qui n’a pas disparu avec ce référendum sur le Brexit, mais qui, comme je l’ai déjà dit, ouvre la voie à de nouvelles possibilités. Nous sommes assis sur une poudrière. Chacune des crises stratégiques actuelles peut déclencher une guerre thermonucléaire. Un certain nombre d’experts, notamment militaires, ont fait remarquer que nous sommes dans une situation plus dangereuse qu’à l’apogée de la Guerre froide (il s’agit bien entendu de la crise des missiles de Cuba). Bien que ce danger existe depuis un certain temps déjà, certains responsables viennent seulement, au cours de ces derniers jours, de briser le tabou. [Le ministre allemand des Affaires étrangères] Steinmeier s’est prononcé récemment sur les manœuvres de l’OTAN en mer Baltique, y dénonçant le cliquetis des armes et une rhétorique guerrière. Wolfgang Ischinger, le président de la conférence sur la sécurité de Munich, pourtant connu pour être un atlantiste convaincu, a déclaré qu’il y a un danger d’escalade militaire entre l’OTAN et la Russie et a conseillé à la première de se calmer. L’OTAN doit se dompter, a-t-il dit.

Gernot Erler, le coordinateur spécial de l’Allemagne pour la politique à l’égard de la Russie, a déclaré que l’OTAN pousse l’escalade jusqu’à la guerre et qu’elle devrait mettre fin à ses provocations. Pour le professeur Steven Cohen, de l’université de New York, les États-Unis représentent la plus grande menace pour le monde, et si l’administration Obama décidait, comme le lui ont demandé dans une lettre 51 dissidents du département d’État, de renverser Al-Assad, l’IE prendrait très vite les rênes du pouvoir et les États-Unis se retrouveraient en guerre contre la Syrie, l’Iran et la Russie.

Il est également programmé, d’ici au sommet de l’OTAN qui doit se tenir les 8 et 9 juillet à Varsovie, une accumulation d’exercices de l’OTAN aux frontières de la Russie et dans les pays baltes, impliquant 50 000 à 60 000 soldats, le déploiement par les États-Unis de porte-avions et de navires de combat en Méditerranée, de navires de la classe Aegis en mer Noire, ainsi que d’autres navires en mer Baltique. Quatre bataillons seront mobilisés dans les pays baltes après le sommet de l’OTAN. On assiste à une nouvelle course aux armements, avec la modernisation des arsenaux nucléaires des deux côtés. La même dynamique se développe en mer de Chine méridionale, entre les États-Unis et la Chine.

Il n’y avait aucun problème en mer de Chine méridionale, jusqu’à ce que le gouvernement philippin décide, en violation complète du droit international et sous la pression des États-Unis (précisons qu’un nouveau gouvernement est arrivé entretemps au pouvoir aux Philippines), de saisir la Cour permanente d’arbitrage de La Haye. Sous prétexte de protéger la liberté de naviguer, les États-Unis violent constamment la zone de 15 km, en survolant les îles et récifs chinois. L’argument invoqué est que la Russie occupe illégalement la Crimée et que la Chine cherche à s’emparer par la force de territoires en mer de Chine méridionale. Toutes les manœuvres américaines et de l’OTAN, affirme la propagande officielle, ne visent qu’à répondre au comportement agressif de la Russie et de la Chine.

C’est bien évidemment totalement faux. La question qui se pose dès le départ est comment se peut-il que 71 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors qu’un monde en ruine avait fait le serment « plus jamais ça », « jamais plus de génocide », « jamais plus de guerre », et 25 ans après l’effondrement de l’Union soviétique, nous nous retrouvions au bord d’une Troisième Guerre mondiale ?

Plusieurs compte-rendu aujourd’hui disponibles montrent sans l’ombre d’un doute qu’au cours de la période 1989-91, les États-Unis avaient, lors d’une série de rencontres officielles avec des responsables soviétiques, promis à leurs interlocuteurs que l’OTAN ne s’élargirait jamais jusqu’aux frontières de la Russie. Le 9 février 1990, le secrétaire d’État américain James Baker avait affirmé que si l’Allemagne s’unifiait tout en intégrant l’Occident et qu’elle rejoignait l’OTAN, les États-Unis prenaient l’engagement formel de « ne permettre en aucune manière à l’OTAN de s’élargir d’un seul centimètre vers l’Est ».

C’est l’une des raisons essentielles pour lesquelles le président Gorbatchev a accepté d’entamer les négociations en vue de la réunification de l’Allemagne. Aucun accord officiel n’a été conclu, mais plusieurs témoins des événements, comme l’ancien ambassadeur américain à Moscou Jack Matlock, entre autres, ont rapporté que Baker avait promis le 18 mai 1990 que les États-Unis entendaient coopérer avec l’Union soviétique pour construire une nouvelle Europe. En juin 1990, Bush avait promis à l’Union soviétique que les États-Unis travailleraient à l’instauration d’une Europe inclusive.

Nous savons aujourd’hui qu’au moment même où ces promesses étaient faites, les néocons aux États-Unis élaboraient une doctrine baptisée « PNAC » (Projet pour un nouveau siècle américain), selon laquelle, après l’effondrement de l’Union soviétique, les États-Unis s’attelleraient à mettre en place un monde unipolaire : aucun pays ou groupe de pays n’aurait le droit de les surpasser, sur le plan économique ou politique.

Au milieu des années 90, des pays est-européens, anciens membres du Pacte de Varsovie comme la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, les pays baltes, etc., se voyaient déjà admis au sein de l’OTAN. Eltsine, Medvedev et Gorbatchev ont protesté, tant en privé qu’en public, contre cette violation de la promesse américaine de ne pas laisser l’OTAN s’étendre vers l’Est, mais en vain : les États-Unis ont adopté la politique de changements de régime. Victoria Nuland a reconnu publiquement que le département d’État américain avait dépensé 5 milliards de dollars pour fomenter une révolution de couleur dans la seule Ukraine. Pour l’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, la crise ukrainienne a commencé avec l’accord de Maastricht, car c’est à ce moment-là que l’UE s’est transformée en empire, dans l’idée qu’elle gagnerait constamment de nouveaux membres. L’expansion de l’UE vers l’Est s’est déroulée en parallèle avec l’élargissement de l’OTAN dans la même direction.

Ce qui a déclenché la crise ukrainienne et par conséquent, du moins formellement, la crise des relations avec la Russie, c’est lorsque l’UE a déclaré lors de son sommet de Vilnius, fin 2013, qu’elle souhaitait établir un nouveau partenariat avec les pays de l’Est et s’associer avec l’Ukraine. Le président ukrainien Ianoukovitch avait alors reconnu que cela aurait donné à l’OTAN un accès à l’Ukraine et ouvert les portes de la Russie à tous les produits en provenance de l’UE, ce qui aurait été dévastateur pour l’économie russe. Il a donc, au dernier moment, renoncé à ce projet, et c’est alors que les ONG financées par le département d’État américain se sont activées. Les nazis se réclamant de Stephan Bandera ont pris le dessus, ce qui conduisit au coup d’État du 22 février 2014 et au référendum en Crimée. Il ne s’agit pas d’une annexion de la part de la Russie, mais d’un référendum au cours duquel la majorité du peuple de Crimée a réagi face au coup d’État fasciste à Kiev. Le récit historique doit être ici rétabli, car faute d’examiner de près la chronologie des événements, la propagande visant à déclencher une troisième guerre mondiale prendra le dessus.

Entretemps, depuis quelques années déjà, la doctrine de l’OTAN a changé, passant de ce qu’on appelait la Destruction mutuelle assurée – l’idée selon laquelle personne n’oserait recourir à l’arme nucléaire par peur de représailles pouvant conduire à l’extinction du genre humain – à l’utopie de la guerre nucléaire limitée, impliquant qu’une guerre nucléaire pourrait être gagnée. Tel est le fondement de la doctrine Prompt Global Strike de l’OTAN. Telle est la logique se dissimulant derrière le déploiement, à l’échelle du monde entier, du bouclier antimissile américain. Ce système n’a jamais eu pour vocation de protéger l’Europe contre les missiles nucléaires iraniens, ce qui crève les yeux depuis que l’Iran a signé l’accord P5+1 avec ses partenaires. L’idée qu’une guerre nucléaire puisse être gagnée suite à une première frappe est également le fondement de la doctrine Air-Sea Battle américaine à l’égard de la Chine.

Bien qu’il ait promis en 2009 de travailler à libérer le monde de toute arme nucléaire, Obama vient d’engager 1000 milliards de dollars pour moderniser l’arsenal nucléaire américain. Ceci comprend les bombes B61-12, dont 200 devraient être stationnées en Europe. L’idée est que des armes nucléaires tactiques modernisées seraient plus facilement utilisables, car elles pourraient être embarquées sur des bombardiers furtifs, capables de pénétrer dans l’espace aérien de l’adversaire. Cela vaut également pour les armes de longue portée, les LRSW ? Or, comme l’ont expliqué dans une lettre publiée il y a quelques semaines dans leNew York Times la sénatrice Dianne Feinstein et la sous-secrétaire d’État américaine à la maîtrise des armements et à la sécurité internationale, Ellen Tauscher, ces armes ne devraient pas être développées car elles accroissent significativement le danger d’une guerre nucléaire en brouillant la frontière entre l’arme conventionnelle et l’arme nucléaire. L’idée même de développer, à l’époque et dans les conditions actuelles, de nouvelles armes nucléaires est inutile, coûteuse et dangereuse, disent-elles. J’ajouterais pour ma part que c’est une idée criminelle car cela fait partie de préparatifs en vue d’une guerre d’agression, chose que le Tribunal de Nuremberg a déclarée comme étant le plus grand crime contre l’humanité.

Voilà où nous en sommes. Ce qui me rend furieuse est que vous avez une situation qui est plus dangereuse que lors de la Crise des missiles de Cuba, et cela pour différentes raisons : des armes thermonucléaires sont impliquées, il n’y a plus de code de bonne conduite entre l’OTAN et les pays de l’Est, et il n’y a plus de téléphone rouge entre Obama et Poutine. Et pourtant, les populations occidentales continuent à dormir ! Elles se dirigent comme des zombis vers la guerre, comme elles l’ont fait pour la Première Guerre mondiale. L’un des objectifs de cette conférence est de changer la donne à cet égard, de déclencher un débat public car nous ne souhaitons aucunement nous soumettre à ce type de jeu.

Voilà pourquoi j’ai appelé, ainsi que nos collèges d’autres pays, à un retrait de l’OTAN. Je ne suis jamais allée aussi loin dans le passé, malgré les nombreux griefs que j’avais à l’égard de l’OTAN, mais la situation est si dangereuse que la poursuite d’une telle politique peut mener à l’extinction de l’humanité. Il n’y a qu’une seule solution : nous retirer immédiatement d’une organisation impliquée dans des préparatifs criminels en vue d’une guerre mondiale.

La deuxième crise existentielle, nous la connaissons tous : c’est l’imminence d’un krach du système financier transatlantique. Wells Fargo, Bank of America, pour ne citer qu’elles, se sont engagées dans les mêmes manœuvres qu’en 2008 en concédant des prêts hypothécaires risqués.

Ces banques qui seraient soi-disant « trop importantes pour qu’on les laisse sombrer », ont investi notamment dans la bulle des gaz de schiste. Par rapport au krach de 2008, la seule nuance est que les instruments des banques centrales sont désormais « grillés » : comment voulez-vous réduire davantage des taux d’intérêt négatifs ? On en est pratiquement arrivé à exiger des dépositaires un taux de 10 % pour jouir du privilège d’y laisser leur épargne ! Commerzbank ainsi que de nombreuses entreprises ne veulent plus confier leur argent à la banque [centrale dans le cas de Commerzbank, ndt], elles en sont revenues au bon vieux matelas, au bon vieux coffre-fort ou que sais-je encore ! Suite au Brexit, la Réserve fédérale, la BCE et la Banque d’Angleterre s’interrogent : combien de milliers de milliards devra-t-on encore injecter pour contrer l’inévitable effondrement du système ?

Le système est à bout, point final. Quoiqu’il ne s’agisse surtout pas d’une situation sans issue : grâce au Brexit, nous pourrions nous retrouver dans une configuration stratégique inédite. Dès 2013, lorsque le président Xi Jinping a annoncé publiquement la politique dite de Nouvelle route de la soie, l’Institut Schiller y a bien vu l’amorce de la reconstruction du monde ; nous avons alors publié une étude intitulée « La Nouvelle route de la soie devient le Pont terrestre mondial ».

En moins de trois ans, le système Nouvelle route de la soie a fait preuve d’un dynamisme exceptionnel, avec les soixante-dix pays membres de la BAII (la banque asiatique d’investissement pour les infrastructures), le mécanisme bancaire qui lui est associé. Dès fin 2016, ils seront cent pays ; dix-huit ont déjà rejoint l’Organisation de coopération de Shanghai, qui recoupe les BRICS et la Nouvelle route de la soie. Il existe désormais plusieurs nouvelles institutions bancaires : la BAII, la Nouvelle banque de développement, la Banque de coopération de Shanghai, le Fonds pour la Route maritime de la soie, la SAARC (la banque de la South Asian Association for Regional Cooperation).

Voilà que la Nouvelle route de la soie avance à pas de géant. Déjà sept ou huit nouvelles liaisons ferroviaires ont vu le jour entre la Chine et l’Europe depuis Chengdu, Xi’an, Chongqing, Yiwu, Lianyungang vers Madrid, Lyon, Herne, Duisburg, Hambourg, Rotterdam… Le président Xi Jinping a visité la Tchéquie, la Pologne, la Serbie, l’Allemagne et la France, et de chaque visite naissent de nouvelles initiatives. Le président suisse a visité la Chine ; l’Autriche voudrait devenir une plaque tournante de la Nouvelle route de la soie ; la Grèce rejoint la Route maritime de la soie ; la Chine agrandit le port du Pirée et réalise une liaison ferroviaire entre Budapest et Bucarest destinée à faire le lien avec le Pirée.

Lors de sa visite en Chine, le président indien Mukherjee a loué fort courageusement le partenariat indo-chinois, désavouant de fait la propagande occidentale au sujet de prétendues tensions entre les deux pays. En Iran, le président Xi Jinping a conclu des accords sur la Route de la soie, suivis d’une visite en Iran du Premier ministre indien Modi et du président de l’Afghanistan Ghani, qui débouchera sur la construction du port de Chabahar comme plateforme de la Nouvelle route de la soie. L’Afghanistan voit bien que la reconstruction du pays dépendra de sa position-clef sur la Nouvelle route de la soie entre la Chine et l’Europe.

En 2013, le président Xi Jinping avait proposé au monde entier une collaboration « gagnant-gagnant » (win-win). Quant au président Poutine, il s’est maintes fois déclaré en faveur de l’intégration européenne de l’Atlantique au Pacifique, de Vladivostok à Lisbonne.

Vu les circonstances, comment avancer ? Dans quel état d’esprit, sur la base de quels précédents historiques les nations européennes pourraient-elles nouer une alliance avec la Communauté économique eurasiatique et la politique « Une ceinture une route », créant ainsi une nouvelle géométrie ?

D’abord, acceptons une fois pour toutes le fait que le dessein initial tracé pour l’Europe par Adenauer et le général de Gaulle – une union politique d’États-nations telle que définie dans le Traité de l’Élysée – n’est plus. Le préambule qui a modifié l’Union européenne et a mené tout droit aux traités de Maastricht et de Lisbonne, n’a plus rien à voir.

Le nouveau modèle européen est un échec retentissant, mis en évidence par le comportement abject de la Troïka face à la Grèce et aux autres pays du sud de l’Europe, et surtout, par l’immoralité absolue des institutions de Bruxelles face à la crise des réfugiés. Les accords de Schengen sont caducs. Dans les Balkans, les frontières se sont hérissées de barbelés. La libre circulation des personnes a vécu. L’UE est désunie. Aucune solution n’est proposée.

Le président turc Erdogan, grand argentier de Daech, reçoit 6 milliards d’euros de l’UE pour entasser les réfugiés dans des camps, sans que l’Europe n’exige la moindre garantie pour leurs droits – comment ne pas être écœuré ! On bafoue les droits de l’homme, à tel point que Médecins sans frontières refuse désormais les subventions de l’UE.

Les élites européennes se sont agenouillées devant une dictature, celle de l’UE, d’où l’éruption de mouvements allant du populisme au fascisme pur et dur.

Ambrose Evans-Pritchard, la voix des services de renseignement britanniques, éditorialiste du Daily Telegraph, écrit que Bruxelles ne fait qu’exécuter ce que l’Angleterre décide – le rêve de Winston Churchill ! Celui-ci appelait en effet de ses vœux une Europe « unie » à laquelle, de l’extérieur, l’Angleterre dicterait ses volontés, tout en imposant sa loi au monde entier grâce à sa « relation spéciale » avec les États-Unis.

Retour en arrière, à l’été 1962 : invité en Allemagne par Konrad Adenauer, de Gaulle y fut reçu non seulement avec affection mais avec la plus haute admiration. Le chancelier allemand se rendit ensuite en France, et les deux chefs d’État proposèrent une union européenne sans l’Angleterre. De Gaulle lui ayant demandé s’il serait disposé à travailler à deux s’il le fallait, aux côtés de la France, Adenauer avait répondu affirmativement. C’est cette union-là qui était l’objectif du Traité de l’Élysée du 22 janvier 1963 et du Plan Fouchet. Pour notre plus grand malheur, le Parlement allemand était alors sous la coupe des partisans de l’Atlantisme. De Gaulle et Adenauer perdirent la bataille et Ludwig Erhard se retrouva le successeur désigné d’Adenauer.

Le 16 mai 1963, un regrettable préambule au Traité de l’Élysée était adopté : partenariat étroit avec les États-Unis, défense commune au sein de l’OTAN, admission de l’Angleterre dans la Communauté économique européenne, traité de libre-échange (le GATT). Grande victoire de la faction pro-anglo-américaine, et prémisse de la crise actuelle.

Si les nations d’Europe doivent effectivement trouver le moyen de coopérer, la City et son annexe qu’est Wall Street ne pourront jamais, au grand jamais, y être favorables !

Le 17 juin 2016, dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, l’ancien ministre de l’Éducation Klaus von Dohnanyi rappelait la collaboration de Gaulle-Adenauer, en soulignant que la Communauté économique européenne devait à l’origine exclure l’Angleterre, et ne prévoyait nullement de s’intégrer dans l’OTAN ni d’accorder de réelles prérogatives à la Commission européenne ou au Parlement européen.

Pour de Gaulle, conscient que les États-Unis ne feraient en Europe que servir leurs propres intérêts, il s’agissait de bâtir une union d’États souverains : l’Europe des patries, Allemagne, France, Italie et Luxembourg.

Klaus von Dohnanyi écrit également qu’il avait lui-même été responsable d’un exercice de l’OTAN en Europe, dont le scénario l’avait pris par surprise : l’URSS envahissait l’Allemagne de l’Ouest, tandis que, sans prévenir leurs « alliés », les États-Unis lançaient des armes nucléaires tactiques depuis le territoire allemand.
Ledit exercice ne faisait que rendre palpable ce qui serait en vigueur tout au long de la Guerre froide – et ça n’a pas changé d’un iota depuis.

En 1950 déjà, Adenauer expliquait au cours d’un entretien avec le journaliste américain Kingsbury Smith, que l’union France-Allemagne donnerait un formidable élan à l’idée européenne. Comme le note Klaus von Dohnanyi, l’ancien chancelier Helmut Schmidt reconnut en 1983 que l’alliance franco-allemande était la clef du progrès, et qu’il s’était lourdement trompé en soutenant le Préambule atlantiste.

Pour Dohnanyi, une telle initiative est encore possible aujourd’hui, l’alliance franco-allemande représentant le destin européen, mais c’est du peuple lui-même et de la base des partis politiques que viendra le changement. Le pessimisme ambiant ne sera balayé qu’en nous fondant sur l’exemple de ces héros de l’après-guerre qu’étaient de Gaulle et Adenauer.

Peut-être est-ce une coïncidence, peut-être est-ce planifié depuis longtemps déjà, mais le ministre des Affaires étrangères allemand Frank-Walter Steinmeier vient d’inviter les six fondateurs de l’Europe à un sommet à Berlin.

Une fois ces références historiques réaffirmées, venons-en à considérer la base épistémologique d’un paradigme nouveau. L’espèce humaine a des objectifs communs, mais comment faire pour qu’elle les reconnaisse, et tourne le dos aux manœuvres géopolitiques pour se joindre à un partenariat global axé sur le développement ?

Qui a raison ? Ceux qui acceptent la pérennité des conflits, le chauvinisme voire la xénophobie ? Une pensée au ras des pâquerettes, sécrétée par les cinq sens et par la logique aristotélicienne ?

Si notre espèce doit survivre, il nous faudra nous élever à un tout autre niveau, celui de Nicolas de Cues, le partisan le plus fervent d’une entente entre les peuples, qu’il voyait comme l’expression de la relation entre l’Un et le Multiple.

Il s’agissait alors d’une méthode révolutionnaire de pensée, que Cues appelait lacoincidentia oppositorum ou coïncidence des opposés. Les nations, disait-il, chacune avec sa langue propre, possèdent des droits inaliénables de par leur légitimité, tout en étant unies par le spiritus universorum, esprit universel et d’une universelle efficacité, dont il est question dans son traité De Docta Ignorantia (De la docte ignorance). Pour Cues, « si les nations représentent l’expression de la diversité et de la spécificité, leur unité est toutefois préexistante » ou, dans le langage de Confucius, « dans la diversité on retrouve l’unité ».

Et Cues de poursuivre : « L’univers précède toute chose, étant ce qui correspond au mieux à l’ordre de la nature, de sorte que tout participe au tout (Quod libet in quo libet) ». Sans perdre son identité propre, chaque nation peut participer à un ordre supérieur inclusif grâce à ce principe d’unité préexistante.

« Le pâle Allemand et l’Éthiopien basané sont tous les deux des êtres humains », déclare Nicolas de Cues dans son célèbre « Sermon 204 ». Lui-même avait sillonné toute l’Europe. Lorsque Mehmet II s’empare de Constantinople en 1453, dans De Pace Fidei, en réponse à la clameur des partisans d’un « conflit des civilisations », Cues propose le dialogue œcuménique : tous les religieux et tous les philosophes reconnaissent qu’il n’existe qu’une vérité, qu’un Dieu, qu’une religion ou, en termes confucéens, « une seule harmonie ». « La Concordance est la plus haute expression de la vérité », écrit Cues dans Concordantia Catholica : les nations et les religions peuvent s’entendre, car toutes sont à l’origine de découvertes universelles, que toutes les autres pourront reconnaître.

Dans Idiota de staticis experimentis (Les expériences pondérales selon le profane), il déclare que toute découverte faite dans une nation doit aussitôt être mise à la disposition de toutes les autres, afin que toutes aient accès à ce qui leur était jusqu’alors inconnu.

Ce faisant, Cues rompt avec les croyances du Moyen-âge, tant populaires qu’élitaires ; dans les universités d’alors, Scolastiques et Péripatéticiens régnaient sur des jeux inextricables de logique et de contradictions.

Mais pour Cues, les cinq sens et le « bon sens » ne sont que des outils permettant un certain ordonnancement, à l’exclusion de toute innovation. L’acte créateur ne peut se faire qu’en se hissant au niveau de la raison, où les contradictions se trouvent résolues. Au cœur de l’intellect se trouve une connaissance préexistante indestructible, puisque si elle n’y était pas, nous ne la chercherions pas, et si nous la trouvions, nous n’en serions pas conscients ! Cette connaissance préexistante n’est pas déductive ; c’est une forme d’intuition, de prescience, qui permet la découverte de principes universels, que ce soit dans la science ou dans l’art.

Chacun possède une condition innée, une disposition pour l’humanité, et la plupart des cultures nous enseignent comment atteindre un niveau d’où l’on pourra créer et raisonner, en surmontant l’arriération dans laquelle nous plongent l’émotion primitive et la pensée purement logique. Confucius, pour sa part, exige de l’homme un apprentissage permanent et un effort d’auto-perfectionnement ; il doit aspirer à devenir un junzi, un être noble voué au bien commun.

De tous les humanistes européens, c’est Friedrich Schiller qui, à mon avis, présente dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme le programme le plus vaste et le plus inspiré, dont la cible est ce perfectionnement de l’espèce. Pour lui, il s’agit d’éduquer les émotions de chaque être humain, dans l’espoir qu’il devienne ce que Schiller appelle « une belle âme », pour laquelle liberté et nécessité, devoir et passion ne feront plus qu’un.

Selon Schiller, si la flamme de l’histoire universelle peut passer des mains de telle nation ou culture à telle autre, toutes peuvent atteindre la condition de citoyens du monde, où le potentiel de l’espèce saura pleinement s’exprimer. Il écrit : « Les frontières entre États qu’a tracé l’égoïsme hostile céderont. Les penseurs s’uniront dans un front de citoyens du monde, et la lumière aveuglante du siècle éclairera un nouveau Galilée, un nouvel Érasme. »

L’espèce humaine est au seuil d’une ère nouvelle, qui se trouve à notre portée pourvu que nous sachions en saisir l’occasion. Le physicien de l’espace Krafft Ehricke parlait de cet « impératif extraterrestre », par où l’homme atteindrait finalement sa maturité ; la collaboration internationale sur l’espace est, disait-il, la prochaine étape pour l’homme, qui deviendra une espèce désormais basée dans l’espace.

Pour Krafft Ehricke, la colonisation de l’espace correspond à la prochaine étape de l’évolution de l’univers, depuis l’apparition de la vie dans les océans, le passage à la vie terrestre, la photosynthèse et la végétalisation de la Terre qui en découle… depuis les amphibiens et les reptiles suivis des mammifères, pour arriver jusqu’à l’espèce humaine. D’abord concentrée aux abords des océans et fleuves, notre espèce a su gagner l’intérieur des terres en inventant des infrastructures. De nos jours, le système Nouvelle route de la soie / Pont terrestre mondial permettra d’ouvrir l’intérieur des terres du monde entier.

La crise qui nous frappe recèle une grande occasion : celle d’amorcer une nouvelle Renaissance aussi riche de sens, voire davantage, que cette grande rupture entre le Moyen-âge et la modernité. Il suffit de tirer un trait sur la mondialisation et sur la pensée dite déductive qui a plongé le monde dans la crise. En choisissant d’encourager la créativité qui fait notre différence avec les autres espèces, nous pourrons vivre dans un monde où chaque enfant bénéficiera d’une éducation universelle et où il sera normal que chacun devienne en quelque sorte un génie ! Il nous reste tant de « réponses » à découvrir, pour lesquelles nous n’avons même pas encore formulé la « question », à l’instar de la Chine qui s’est donné pour tâche d’explorer la face cachée de la Lune. Il existe des énigmes dans l’Univers dont nous ignorons jusqu’à l’existence !

Nous deviendrons, j’en suis convaincue, des êtres meilleurs. La nature humaine est foncièrement bonne, et chacun possède en lui-même les moyens d’agir pour le bien et de se perfectionner sans cesse. C’est à notre portée, efforçons-nous de le réaliser !

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